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Le peintre parut ravi de la double surprise que Louis-Noël et moi lui faisions. Il ne releva pas les lacunes d’une improvisation que j’aurais voulu rendre moins imparfaite. Je me gardai de lui dire que j’avais inutilement essayé d’écrire un sonnet à son adresse.

Au surplus, je n’étais pas pour lui un étranger. Ma première visite chez Gigoux date de 1875. J’écrivais alors la Vie de David d’Angers. La veuve du statuaire m’avait parlé de Gigoux comme du plus fidèle ami de David, et je m’étais décidé à l’aller voir. L’accueil du peintre avait été d’une aimable cordialité. C’était son accueil pour tous il n’en avait qu’un. Dès le premier jour, je fus agréablement surpris en entrant dans la maison de Gigoux, où je devais revenir si souvent, de la trouver remplie de toiles. Ce n’est pas une maison, c’est un musée. Quelques statues distribuées sur la façade de l’habitation m’avaient averti que j’entrais chez un artiste. Mais j’étais loin de m’attendre à cette profusion de belles œuvres appendues aux moindres parois, sur les portes, dans les couloirs, les escaliers dont elles couvrent les rampes, et jusqu’au plafond du plus humble réduit. La salle à manger, le salon, la chambre du peintre, qui occupent le rez de chaussée, sont remplis de peintures. Toutes les écoles, celles d’Italie et des Flandres, l’école anglaise et l’école espagnole ont été faites tributaires de cette maison curieuse. Au premier étage, sont les dessins exposés ou en portefeuilles. Gigoux lui-même n’en sait plus le nombre. Au-dessus, l’atelier. Là encore, de belles toiles, des pages de choix de ces Maîtres d’autrefois dont a si bien parlé un croyant de l’art, Fromentin, la veille de sa mort. — Socrate avait ainsi résumé sa foi en l’immortalité pendant les heures de sa nuit suprême.

Je ne vous ai pas dit que ce qui distingue ces galeries intimes de la maison de Gigoux, c’est qu’on n’y rencontre aucun de ses propres ouvrages. Il faut monter à l’atelier pour se retrouver avec l’artiste en face d’ébauches dispersées ça et là sur leurs chevalets. Quant aux œuvres de sa jeunesse et de son âge mûr, que le peintre a conservées, elles sont un peu partout, privées de leurs châssis et roulées. Il y en a sur les meubles, dans les coins obscurs, sous le piano, derrière les divans. Une Jeanne d’Arc, peinte il y a cinquante ans, est tournée contre la muraille.