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Platon, Descartes, Locke, Kant ; ils ont jeté chacun à leur manière des vues de génie sur le monde intellectuel et moral ; mais ces vues attendent une science qui les reçoive et les classe, car la philosophie n'est point encore.

Le jour où, se repliant sur elle-même et sur l'histoire de ses premiers essais, elle reconnaîtra que jusqu'ici ses tentatives les plus hardies n'ont abouti qu'à mettre en lumière quelques-unes des croyances du sens commun ; le jour où elle en trouvera la raison dans ce fait de la nature humaine, que ce n'est point l'intelligence qui découvre la réalité, mais la réalité qui se manifeste à l'intelligence, en sorte que les plus puissants génies ne peuvent avoir sur le vulgaire que l'avantage de comprendre mieux quelques articles de cette commune révélation, alors la philosophie reconnaîtra sa destination et finira par s'y résigner. Éclaircir, par la réflexion, les intuitions obscures que tout le monde reçoit en présence des choses, voilà tout ce qu'elle peut et par conséquent tout ce qu'elle voudra. Sans le savoir, jusqu'ici et malgré son ambition, elle n'a pas fait autre chose ; mais elle changera de méthode et d'esprit. Elle saura que toute idée étant nécessairement en nous le reflet de quelque réalité, toute idée, dans sa naïveté primitive, est nécessairement vraie ; elle saura qu'il n'y a de faux que les analyses de la science, et que si elles sont fausses, c'est qu'elles sont incomplètes ; elle se hâtera donc moins de déclarer la science achevée et le monde expliqué ; au lieu de faire des systèmes, elle fera des observations ; au lieu d'être exclusive, elle deviendra tolérante et revêtira enfin les caractères de la maturité ; car dans la vie d'une science, l'esprit de système est un signe de jeunesse, comme le penchant à s'engouer dans celle de l'homme.