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sont toujours contredites sans qu'aucune ait triomphé ou péri, c'est que toutes, éléments divers de la vérité, se recommandaient au même titre au sens commun, et qu'aucune ne représentant la vérité tout entière, ne pouvait être acceptée à saplace. Si le sens commun et la philosophie n'ont pu s'accorder, ce n'est pas qu'il y ait deux vérités, l'une pour les philosophes et l'autre pour le vulgaire, c'est qu'il y a deux manières de l'aborder, l'une qui embrasse toute la vérité, assez pour la reconnaître quand on la lui présente, assez pour sentir quand on la mutile, mais pas assez pour s'en rendre compte et l'exprimer ; tandis que l'autre, qui s'en rend compte et l'exprime, ne peut la saisir tout entière.

Mais le divorce de la philosophie et du sens commun n'est point éternel de sa nature. Si la philosophie s'était donnée pour ce qu'elle est, il y a longtemps qu'elle aurait été admise au rang des sciences raisonnables que le sens commun peut avouer; mais elle est si jeune, qu'elle s'ignore encore, elle, et son but, et sa destinée. Jusqu'ici elle ne s'est pas définie à elle-même d'une manière précise ; elle ne s'est point rendu compte de sa tâche, de ses moyens, de ses limites. Le monde attend qu'elle s'explique pour la juger et qu'elle se connaisse pour la reconnaître. Le moment où une science, après s'être longtemps débattue dans son berceau, après avoir signalé sa récente existence par de vigoureuses et incohérentes tentatives, prend enfin conscience d'elle-même, se calme, se contient, fixe son but, sa sphère, sa méthode, et commence à montrer qu'elle se comprend et se gouverne par des recherches sages et réglées, ce moment qui vient presque d'arriver pour les sciences naturelles, la philosophie l'attend encore. Jusqu'ici tout a été spontané, personnel en philosophie ; il y a eu des philosophes,