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c'est constater ce que l'on savait ; et comment vouloir apprendre si l'on ignorait ce que l'on veut apprendre?

Ainsi les questions spontanément et éternellement posées, spontanément et obscurément résolues, par cela seul que l'intelligence humaine était en face des choses, sont volontairement posées par la philosophie et volontairement agitées. Le regard succède à la vue, la réflexion au sentiment, l'analyse libre à la synthèse involontaire, et chaque instrument manifeste ses propriétés dans les connaissances qu'il donne. Le propre de la vue primitive, c'est l'étendue et l'obscurité ; le regard libre distingue, mais il est étroit. Aussi la philosophie, si elle aperçoit clairement ce qu'elle saisit, n'aperçoit que des points ; le sens commun qui n'a rien vu clairement, a tout vu. La philosophie qui n'aperçoit que des points dénature leurs proportions naturelles, brise leur dépendance de l'ensemble ; le sens commun, qui voit tout, laisse à chaque chose et ses rapports et ses proportions ; les parties de la vérité que la philosophie met en lumière, le sens commun les reconnaît ; mais le jour où le philosophe fatigué a la présomption de proclamer que la partie qu'il a mise en lumière, est le tout, le sens commun qui a le sentiment du tout ne le reconnaît pas dans cette image mutilée et renie la philosophie.

Ainsi va la philosophie, et tel est le sens du spectacle qu'elle a présenté jusqu'à nos jours. Si les mêmes questions ont reparu à toutes les époques, c'est qu'elles contiennent sous ses différentes faces le problème de la vie, et que l'homme ne peut s'intéresser qu'aux choses qui le touchent. Si les mêmes solutions se sont toujours reproduites, c'est qu'elles étaient les éléments réels de la solution complète, et que l'intelligence humaine ne peut sortir du cercle de la réalité. Si ces solutions se