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s'élève à la conception de ce qui est invisible à nos yeux et insensible à notre conscience.

En d'autres termes, le regard n'est point le début de l'intelligence, ni la philosophie le début du genre humain. Avant de nous emparer de l'intelligence et de la diriger volontairement à l'examen d'unecertaine partie de la réalité, la réalité tout entière, ou du moins tout ce qu'elle contient de visible et de concevable pour l'homme, se manifestait en elle. Dès l'entrée de la vie, notre entendement est incessamment affecté de toutes choses, et nous avons le sentiment ou la vue obscure de tout ce qu'il nous est donné de connaître. C'est ainsi que le vrai, le bien, le beau, la nature des choses, tout l'objet de la philosophie, se révèlent continuellement, fidèlement, mais obscurément à l'humanité; et de là ces notions vagues, ces croyances confuses mais profondes, ces sentiments indistincts mais puissants sur les matières les plus hautes, qui fermentent sourdement dans toutes les classes de la société et la gouvernent à toutes les époques ; de là, en un mot, le sens commun tout entier.

Mais l'élite de l'humanité ne se contente point de ces obscures clartés, de ces vagues persuasions : elle aspire à comprendre ce que tout le monde croit ; elle aspire à des solutions nettes des grandes questions humaines, et par elle commence la philosophie ou la science. La science n'est autre chose que l'éclaircissement successif des différents points de cette immense provision d'idées, accumulées dans l'intelligence par la manifestation des choses ; et ce qui opère l'éclaircissement, c'est le regard après la vue, c'est en d'autres termes la liberté interrogeant l'entendement sur une question, lui demandant ce qu'il sait et le forçant de préciser sa connaissance. Philosopher c'est apprendre ; apprendre ce n'est pas connaître,