Page:Jouffroy-Melanges philosophiques-1860.djbu.djvu/129

Cette page n’a pas encore été corrigée

Au lieu de recevoir passivement la manifestation de l'objet, je vais à lui, je deviens actif et librement actif. Mais à quel propos? Si l'objet ne m'avait d'abord frappé, je n'en aurais aucune idée et je ne m'aviserais pas de le regarder : la vue précède donc nécessairement le regard, elle en est la condition indispensable ; le regard ne me révèle donc pas ce qu'il atteint, il ne fait que remarquer ce qui était déjà connu. Mais ce qu'il saisit n'était connu qu'indistinctement, il le saisit distinctement ; il éclaircit donc la connaissance que nous avions déjà, et c'est là toute son œuvre.

Mais comment éclaircit-il? S'il embrassait tout, il ne distinguerait rien. Il est donc forcé de prendre l'une après l'autre toutes les parties de l'ensemble pour les connaître nettement : l'analyse est son procédé, comme la synthèse est celui de la vue.

Mais en parcourant ainsi les diverses parties du tout, le regard, ou bien en omet quelques-unes, ou bien répand sur celles qu'il a saisies, une lumière inégale qui donne aux unes plus, aux autres moins d'importance qu'elles n'en ont naturellement ; aussi tantôt il mutile le tableau, tantôt il en altère la vérité, et le plus souvent il fait l'un et l'autre. La vue, au contraire, comme un miroir fidèle, le réfléchit tel qu'il est ; l'étendue et la fidélité sont ses caractères, mais elle est obscure ; le regard est clair, mais il est étroit, et ne manque jamais de défigurer l'objet qu'il étudie.

Or, cette double manière de connaître n'est point, comme on l'a pensé, une loi de l'organe de la vue, que notre corps impose à notre intelligence ; c'est la loi de l'intelligence elle-même ; et ce qui le prouve, c'est qu'elle procède toujours de même, soit qu'elle prenne connaissance de ce qui se passe en nous, soit qu'elle