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venu quelle idée il se forme du bien, ou ce qu'il pense de la nature des choses, il ne saura ce que vous lui dites ; si vous cherchez à lui expliquer le sens de ces deux questions, à moins que vous n'usiez de tout l'art de Socrate, il aura peine à vous comprendre. Mais essayez de mettre en question, avec les stoïciens, que le plaisir soit un bien, ou de nier, avec les spiritualistes, l'existence des corps, vous le verrez rire de votre folie et témoigner sur ces deux points la plus inébranlable conviction. Il en sera de même sur toute autre question. Le sens commun est donc une opinion très réelle, mais qui domine les hommes presque à leur insu ; son existence est prouvée par cela seul qu'ils jugent et se conduisent comme s'ils l'avaient ; obscure dans son ensemble, nul ne saurait s'en rendre compte, ni l'exposer; mais quand un cas particulier se présente, elle se révèle tout à coup par une application claire, nette, positive, puis elle rentre dans l'ombre : on la sent dans chaque détermination ; mais, hors de l'application, elle est comme si elle n'était pas ; et c'est précisément cette obscurité qui la rend insuffisante aux hommes qui pensent. La réflexion ne peut se contenter de cette espèce d'inspiration dont le propre est de s'ignorer et de ne pas songer à se savoir. Si les hommes naissent avec le sens commun, ils naissent aussi avec le besoin de se comprendre : l'un n'est pas plus naturel que l'autre. Or, dès que ce besoin se développe, il y a dans la conscience humaine autre chose que le sens commun; il y a un commencement de clarté, un commencement de philosophie. Mais dès lors aussi il y a dans la conscience humaine des points plus clairs et des points plus obscurs, une prédominance des premiers sur les seconds, et par conséquent une altération