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avoir jamais songé, s'est obstiné à trouver vrai ce que les uns avaient déclaré faux, certain ce que les autres avaient jugé douteux, bon et beau ce que leurs doctrines avaient dépouillé de ces caractères ; ce qui était une question pour eux a semblé n'en Mm pas une pour lui ; car pendant qu'ils s'épuisaient à résoudre ces grands problèmes, lui, sans paraître y songer, jugeait leurs solutions, les admettait oules rejetait, les redressait ou les corrigeait; pendant qu'ils se disputaient ou se contredisaient, lui avait l'air de ne douter de rien, et seul, toujours d'accord avec lui-même, après avoir vu passer toutes les doctrines philosophiques, seul aussi n'en a pas changé et a conservé la sienne.

S'il en était de la philosophie comme des hautes mathématiques, où le commun des hommes ne comprend rien et n'attache aucun intérêt, on pourrait prendre sa résistance pour de l'indifférence, ou du moins nier ses titres à intervenir dans le débat ; mais ni le vrai, ni le bien, ni le beau, ni aucun des grands objets dont la philosophie s'occupe, ne sont au-dessus de la portée du bon sens, puisqu'à chaque instant tous les hommes jugent que cela est beau, que cela est vrai, que cela est bon ; et rien ne leur est moins indifférent, puisqu'ils ne s'occupent que de vérité, de justice, de beauté, d'utilité. On ne peut nier la compétence de l'humanité puisqu'elle juge ; mais comment nier celle de Platon, de Descartes et de Kant ? Eux aussi étaient des hommes, et de plus des hommes de génie ; et cependant leurs doctrines ne sont point devenues la religion du peuple ; la religion du peuple est plus vieille que la philosophie ; la philosophie ne l'a point altérée ; elle a survécu à tous les systèmes, et cette religion est le sens commun.

Faut-il en conclure que rien n'est certain, que c'est