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QUATRIÈME LEÇON.


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LECONTE DE L’ISLE ET L’ÉCOLE
PARNASSIENNE.


Ce qui fait la grandeur de V. Hugo, c’est l’inconscience de son génie. On peut, et à plus juste raison, dire de lui ce qu’on a dit d’Alexandre Dumas: c’est une force de la Nature. Il pense, il imagine, il crée sans savoir comment. S’il n’a jamais fait de confidences sur les sources de son inspiration, c’est qu’il était peut-être le premier à les ignorer. De là vient la faiblesse de ses théories littéraires (je n’excepte pas de mon jugement la Préface de Cromwell) et l’incertitude, pour ne pas dire les défaillances perpétuelles de ses jugements critiques. Hugo n’étudie pas, il invente ; — il n’est pas familier avec l’étude des textes, avec le commerce des livres. Comme il le disait lui-même, il ne lisait que les livres rares, les livres que personne ne lisait. Il avait mieux à faire: il retrouvait dans son âme la légende de l’humanité et la vie obscure de l’Être universel. Cette inconscience créatrice éclate partout dans ses œuvres, et ce n’est peut-être pas dans les plus parfaites qu’elle se manifeste le plus pleinement. De même que certains critiques modernes se plaisent surtout à lire les pièces de la vieillesse de Corneille, Attila, Agésilas, Héraclius, et y trouvent l’expression la plus adéquate de son génie, plutôt que dans Cinna ou dans Polyeucte, de même je dirais volontiers qu’en ce qui concerne V. Hugo, les pages illisibles de son œuvre,