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homme qui connaît l’harmonie, et qui y pense en la fuyant ; comme il faut, pour le mérite de la caricature, qu’elle soit traitée par un homme qui a en lui le type du grand, et qui y pense en s’en écartant.

Pour conserver aux pensées et aux phrases, dans l’enchaînement du discours, leur liberté, leur air dégagé et mobile, il faut donner à chacune son orbite et son disque, son étendue et ses limites. Il faut que la phrase soit semblable à la pensée, c’est-à-dire, qu’elle n’en excède pas les dimensions, qu’elle n’en altère point la forme, qu’enfin elle ne reste en deçà, et n’aille au delà d’aucun de ses termes. C’est la rondeur du sens, dans les mots et dans les incises, qui fait le vers de la pensée. Cette rondeur s’acquiert quand les pensées et les mots ont longtemps roulé dans la mémoire.

Achever sa pensée ! Cela est long, cela est rare, cela cause un plaisir extrême ; car les pensées achevées entrent aisément dans les esprits ; elles n’ont pas même besoin d’être