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de pompe ou d’harmonie, et souvent il ne doit point en avoir, il faut qu’il ait au moins du mouvement ou de la cadence, de l’onction ou de l’abandon, de l’épanchement ou du flottant, comme les nuages dans le ciel.

Le style qui sent l’encre, c’est-à-dire, celui qu’on n’a jamais que la plume à la main, se compose de mots qui paraîtraient étranges, hors du discours où ils sont contenus, et qui n’existant point dans le monde, ne se trouvent que dans les livres, et n’ont d’utilité que par l’enchaînement. Ces mots n’ont pas naturellement d’accès dans la mémoire, parce qu’elle aime la netteté, et que demi-clairs et demi-obscurs, ils n’y porteraient qu’un nuage, une figure informe. Comme ils sont nés de l’écritoire, leur seul terrain est le papier. Il faut qu’il y ait, dans notre langage écrit, de la voix, de l’âme, de l’espace, du grand air, des mots qui subsistent tout seuls, et qui portent avec eux leur place.

Pour que la beauté ait le mérite de la dissonance, il faut qu’elle soit employée par un