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et faites-en des chiffres invariables : il n’y aura plus de jeu dans la parole, et dès lors plus d’éloquence et plus de poésie. Tout ce qui est mobile et variable, dans les affections de l’âme, demeurera sans expression possible. Je dis plus : si vous bannissez des mots tout abus, il n’y aura plus même d’axiomes. C’est l’équivoque, l’incertitude, c’est-à-dire, la souplesse des mots qui est un de leurs grands avantages, et qui permet d’en faire un usage exact.

Le sens caché dans les mots dont on fait usage, sens souvent très-étendu et très-important, mais d’une importance et d’une étendue qu’on sent et qu’on n’aperçoit pas, est comme une lueur dans un brouillard. C’est la lampe du ver luisant qui éclaire un point unique, mais qui l’éclaire sûrement. Elle est en lui, mais loin de ses yeux, et lui fait tout voir, sans qu’il la voie.

Il y a des mots qui sont à d’autres ce que le genre est à l’espèce, ou ce que l’espèce est au genre. Les mots genre ont un sens plus large et plus vague ; ils ont de l’ampleur et sont