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J’ai remarqué qu’ils demandaient toujours du meme plat, et qu’ils soutenaient toujours Ie meme avis contre tous les convives. Je ne me souviens pas d’avoir observe, en ma vie, une plus parfaite uniformité de cmurs, d’esprits et d’appétits.

Apres diner, je leur ai proposé d’aller se jucher en tete- a-téte dans la bibliotheque, ou ils se sont ébattus pendant deux grosses heures, et d’oh il m’a fallu les arracher, a la nuit noire.

Le lendemain , mercredi , ils ont couru les champs ensemble, depuis trois heures jusqu’a cinq, et se sont réunis encore , a sept, chez Chateaubriand , où j’ai laissé M. Molé, a dix heures et demie. Je ne sais pas s’il y a couché.

Il y était attablé le lendemain jeudi. Ceci est sur, car j’y ai diué avec lui.

Ce jour-la , ils se sont encore promenés seuls pendant toute la soirée, car ils n’étaient pas rentrés a dix heures. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait hier.

Voila le bulletin exact de tout ce que j’ai vu. Quant a ce que j’ai entendu, je puis vous assurer qu’ils rient aux grands éclats , comme des fous , et qu’ils ne parlent pas trop comme des sages. C"est qu’apparemment ils extravaguent de joie,

Si, pour completer la narration, il faut méler mes conjectures a mes récits , je vous dirai confidemment que je crains un peu que ce rapprochement ne se soit fait aux dépens du genre humain, car ils ne cessent de se moquer du monde entier, meme de moi !

Aussi leur ai-je dit de ne pas revenir ; je les ai appelés serpents réchauffés dans mon sein. Mais ils plaisantent de tout cela.