Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/36

Cette page n’a pas encore été corrigée

choses n’étant qu’une copie de l’idée, l’image qu’une copie des choses, et les mots, à leur tour, qu’une expression de l’image, les poëtes qui sont si fiers de leur art, ne font cependant, dans leurs poëmes, que des copies de la copie d’une copie, et, par conséquent, quelque chose d’infiniment imparfait, parce que cela est infiniment éloigné, et différent du vrai modèle. Platon voulait condamner la poésie, et il lui faisait des reproches dignes d’elle et dignes de lui. Mais je veux la défendre, et, en entrant dans sa doctrine, je la tourne toute en faveur de cette poésie qu’il proscrivait, en lui donnant une couronne. Je dis, n’en déplaise à Platon : tout est périssable et défectueux ici-bas, excepté les formes qui sont l’empreinte de l’idée. Or, que fait le poëte ? à l’aide de certains rayons, il purge et vide les formes de matière, et nous fait voir l’univers tel qu’il est dans la pensée de Dieu même. Il ne prend de toutes choses que ce qui leur vient du ciel. Sa peinture n’est pas la copie d’une copie, mais un plâtre de l’archétype, plâtre creux, si je puis dire, qu’on porte aisément avec soi, qui entre aisément dans la mémoire, et se place au fond de l’âme, pour en faire les délices dans les instants de son loisir.