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Tel est pour moi le vigarousimw. Et remarquez que mon M. de Chazal fait tout dépendre de l’appétit. Conserver l’appétit, c’est sa regle fondamentale. Quand on peut le conserver, et, a plus forte raison, le faire naltre, en bien mangeant , il ne s’y oppose pas; au contraire; et lui-meme , dans ses vieux ans , mange beaucoup. J’espere que cette circonstance , que j’avais omise , le réhabilitera dans votre esprit. Ne l’appariez pas, je vous en conjure , avec votre vieux commandeur, qui veut que la vie sorte toujours du mouvement, tandis que c’est le mouvement, au coutraire, qui doit sortir de la vie. Comme je me suis tué par ma fidélité opiniatre au dicton : Courez et mangez, je suis pour mon vieillard contre le votre et contre tous les Vigaroux.

Ma prieure vit toujours, avec son verre d’eau sucrée et rougie de vin. ll y eut l’autre jour une grande alarme parmi ses héritiers futurs: elle demanda et mangea la moitié d’un oeuf ; on crut qu’elle allait rajeunir. Sa santé, cependant, serait moins favorable que son agonie it sa succession. Elle passe depuis trois mois, le temps qui lui reste, a donner son argent aux domestiques qui l’ont servie, et ses bijoux a ses voisines. Elle appelle ses créanciers et des notaires, fait des remises d’intéréts échus, se réconcilie avec les parents qu’elle n’aimait pas, les trouve bons et se fait trouver bonne. C’est la vivre, certes; et si le ciel voulait me laisser la libre et parfaite disposition de ma téte , avec d’amples moyens de satisfaire aux inclinations de mon coeur, tous les jours et a toutes les heures, je consentirais avec joie it passer, comme elle, dans mon lit, et les fenétres ouvertes, dix, vingt, trente et cinquante ans de ma vie, tout le temps enlin, qu’il lui plairait. Vivre, c’est penser et sentir son ame; tout le reste, boire,