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n’en suis cependant pas bien malade, et j’espère pouvoir essayer, après-demain, au plus tard , d’un grand rideau de vieille bergame, que mademoiselle Piat me fabrique, et qu’on mettra entre le vent et moi.

Votre Condillac m’a roidi et desséché l’esprit, pendant dix jours, avec une telle force, qu’il n’y avait pas en moi une fibre qui ne s’en ressentit, et ne se refusat a toute fonction. Il m’a fallu interrompre cette aride lecture, et me jeter, pour digérer, dans d’autres livres. Un Massillon, qui m’est tombé par hasard sous la main, m’a réussi ; il m’a huilé et détendu. Monsieur Necker, qui est survenu, ne m’a pas nui : je suis tombé de l’huile dans la graisse , et je me sens tout rempaté. ‘

Ecoutez donc : il y a dans ce gros livre du ridicule, et un ridicule qu’assurément on ne pardonnera pas ; mais tant pis pour ceux qui ne sauront pas y trouver de I’utilité, et se borneront a en rire. ll y a de grands profits ay faire , en parlant comme M. Necker, pour sa vie et pour son esprit.

Je voudrais bien qu’il mît son rabat de ministre dans sa poche , qu’il jetât son froc aux orties , et qu’il nous redît tout cela, en habit de ville et sans masque. Il y aurait la et du grand et du beau, et du vrai et de l’important, que les citations de la Bible elles-memes ne dépareraient pas , car la plupart sont de grandes beautés littéraires , qu’on ne trouverait point ailleurs. Quant aux singularités, et même aux bizarreries de style qui y subsisteraient encore, on les pardonnerait au nom de l‘homme , au pays ou il est né, a celui ou il a écrit, et au métier qu’il a quitté. Il faut qu’il y ait , dans ce vaste esprit , un coin de sottise bien déterminé, pour avoir fait, avec réflexion entière et pleine, une pareille gaucherie.