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il me voit gueri , le croit de bonne foi, et le dit a tout le monde. La verite est que je suis toufours egalement ma- lade , mais avec plus de variete , ce qui est au moins un agrement. Je suis aussi un peu plus accoutume it mes maux , et je vois plus clair dans ma maladie. Ce sont la , si l’on veut , des mieux dont je sens vivement le prix; mais je ne puis pas convenir que j’en eprouve · d’autres. Pourtant , je me suis bien trouve de l’air de Sens. J’y habite un petit tertre qui m’enchante. J’ai sous les yeux, dans le lointain , la verdure la plus riante et la plus riche. Mes ruelles (vous ne savez pas ce que c’est) sont bordees de maisons ou le bonheur semble habiter, derriere des haies et sous des treilles. Un peuple poli m’environne, et il n’a pas l’air malaise. Bien de ce qui me touche , rien de ce que je eontemple ici ne me deplalt , et je souhaite souvent que vous et madame de Beaumont puissiez m’y voir. C’est vous dire que tout semble concourir a me faire porter en ce moment aussi bien qu’il est possible , et ecpendant je suis malade , quoi que pre- tende le docteur. Les vents, a la verite , en sont un peu la cause; mais quand on a une saute qui depend eter- nellement du beau temps et de la pluie, on est condamne a se porter mal partout et toute la vie.

Si telle est ma destinee , je m’y resignerai , Madame; je rendrai meme grace a la Providence, si, dans la situation ou je serai reduit, elle me laisse toujours la capacite d’etre heureux par des idees et des sentiments fort doux , qui me remplissent assez souvent de leurs delices , et si a ce bienfait elle ajoute celui de me laisser disposer librement, une fois par mois , de ma main et de ma pensee, pour ecrire a votre cousine et a vous, quand je ne pourrai pas vous voir. Sans ce dernier