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brusques mouvements, aux expressions partielles et presque imperceptibles de l’homme solitaire retiré dans sa demeure. Nos artistes ne peuvent considérer leur modèle que dans le coin obscur de quelque chambre étroite.

Obligés de le placer aussi proche de leur vue que de leur pensée, ils ne l’étudient qu’au moment de le peindre, et avec cette attention excessive qui ne permet d’embrasser l’ensemble qu’en se détournant des détails, ou de saisir les détails qu’en se détournant de l’ensemble.

Ils n’ont à copier, pour exprimer la nature morale, que des attitudes commandées, qu’ils sont forcés d’inventer ou d’emprunter au théâtre. Enfin, pour peindre l’homme, ils n’ont que des statues vivantes ; car je ne saurais donner un autre nom à ces modèles gagés qui, n’étant animés par aucun sentiment personnel, n’offrent à l’artiste, dans leur ennui, que la froideur du marbre et son insensibilité.

On ne doit donc pas s’étonner de la supériorité des anciens. Ils voyaient l’objet de leur art aussi parfait que pouvait le souhaiter l’imagination même. Ils le voyaient toujours en haleine, toujours ému, toujours à sa place, et tel qu’ils devaient le peindre, je veux dire