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extraire. C’est une chose à remarquer que le nombre de mots qui, dans les langues même les plus ingrates, servent à signifier les mêmes pensées ou les mêmes objets, surtout lorsqu’il s’agit des qualités et des sentiments. Chaque couleur n’a pas plus de nuances, que n’en a chaque manière d’exprimer une même chose.

Observez les êtres humains, que l’éducation n’a pas soumis à l’uniformité, et vous verrez avec quelle variété, non-seulement chaque idiome, mais chaque dialecte est parlé. Les pauvres surtout et les enfants s’en forment un, composé d’expressions toutes très-connues, et qu’ils arrangent cependant d’une manière si nouvelle, que celles de l’enfant se ressentent toujours de son âge, comme celles du pauvre de sa fortune. Les uns et les autres, se plaisant à oublier leur misère et leur faiblesse, aiment quelquefois à entendre parler magnifiquement ; mais si l’on entretient les enfants de leurs jeux, et les pauvres de leur misère, on ne les contente qu’en en parlant comme ils voudraient en parler eux-mêmes, c’est-à-dire, naïvement et pathétiquement. Encore faut-il, pour les satisfaire, être naïf et pathétique avec plus de raison et d’élégance qu’ils ne pourraient l’être eux-mêmes ; il faut qu’on réalise à leur oreille