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qu’il dit échappe à la mémoire, mais n’échappe pas au souvenir ; je veux dire, qu’on ne se rappelle pas ses phrases, mais qu’on se souvient du plaisir qu’elles ont fait. Cette perfection de style, qui consiste à incorporer de telle sorte la parole avec la pensée, qu’il soit impossible de se rappeler l’une sans l’autre, n’est pas la sienne ; mais il en a une autre : sa construction molle indique l’état de son âme, la douceur de son affection. Si l’on y voit moins bien ses pensées, on y voit mieux ses sentiments.

Fénelon avait cet heureux genre d’esprit, de talent et de caractère, qui donne infailliblement de soi, à tout le monde, l’idée de quelque chose de meilleur que ce qu’on est. C’est ainsi qu’on attribue à Racine ce qui n’appartient qu’à Virgile, et qu’on s’attend toujours à trouver, dans Raphaël, des beautés qui se rencontrent plus souvent, peut-être, dans les œuvres de deux ou trois peintres que dans les siennes.

Fénelon eut le fiel de la colombe, dont ses reproches les plus aigres imitaient les