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d’imagination ou de sentiment absolument nouvelles.

On les remarque, elles étonnent, et leur nouveauté rend indécis ; on craindrait, en les approuvant, de hasarder son jugement, de compromettre l’honneur de son opinion ; on n’ose donc les goûter, et on laisse l’épreuve se faire. Puis on est tout étonné, un jour, longtemps après qu’on les a vues pour la première fois, de se sentir charmé et subjugué par elles. C’est qu’il y a, dans les beautés littéraires, quelque chose qui vient du ciel, et qui échappe aux efforts des hommes, quand ils veulent le dépriser.

L’exception est de l’art aussi bien que la règle. L’une en défend et l’autre en étend le domaine.

Quand on se souvient d’un beau vers, d’un beau mot, d’une belle phrase, on les voit devant soi, et les yeux semblent les suivre dans l’espace. Un passage vulgaire, au contraire, ne se détache point du livre où on l’a lu, et c’est là que la mémoire le voit d’abord, quand on le cite.