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miiable intelligence, elle saisissait sans effort ce qu’il y avait de plus délicat dans les pensées, dans les mots, et y applaudissait avec une franchise pure des retours intéressés qui sont la condition tacite de tant d’éloges. Les esprits d’élite qui savent ainsi discerner les saveurs littéraires, sont le complément nécessaire de ceux qui savent les produire. Non-seulement ils les encouragent, mais ils les fécondent. Leur voix protectrice est comme une voix divine : elle enfante des prodiges. Aussi madame de Beaumont exercait-elle, sans y prétendre, l’influence créatrice dont parlait le poëte. Chénier avait écrit, dans son cabinet même, les pages dignes de Tacite qu’il nous a léguées ; c’était près d’elle que plus tard M. de Chateaubriand devait rencontrer ses plus brillantes inspirations ; madame de Staël interrogeait son goût avant celuidu public ; enfin, s’il est permis de rapprocher de ces noms illustres un nom modeste encore, M. Joubert trouvait d’inépuisables aliments dans son commerce avec elle, et regrettait bientôt pour son jeune ami, M. Molé, les trésors de cette approbation féconde.

Il y avait bien chez madame de Bcaumont une sorte de dédain négligent, sans apprêt, mais aussi sans contrainte, pour tout ce qui était vulgaire dans les choses ou parmi les hommes. Soit que le malheur eût désenchanté sa vie, soit qu’elle reçût de ses souffrances l’avertissement silencieux qu’il faudrait de bonne heure quitter la terre, elle se défiait des affections humaines et se laissait aller, avec trop d’indifférence peut-être, au détachement du monde ; mais sous cette enveloppe un peu froide, les ardeurs de son âme étaient promptes à slé\ ciller pour tout ce qui était noble, juste et bon : peu