Page:Joubert - Les carnets de Joseph Joubert, Tome I, 1938.djvu/7

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

PRÉFACE[1]


André Beaumier n’écrira pas la préface que seul il pouvait écrire, — et ce n’est pas seulement en tête de ce livre que sa disparition se fait sentir ! Ici nous sommes privés de pages qui auraient été délicieuses sur ce Journal intime qui, pour la première fois, grâce à un zèle de plusieurs années, vont paraître telles que leur auteur les avait fixées ou jetées sur le papier, André Beaunier les a collationnées et recopiées je dirais presque avec une piété fraternelle, car il y avait entre Joubert et lui une parenté d’esprit, des affinités charmantes. Ils avaient la même noblesse et le même goût des âmes ; et leur délicatesse à l’un et à l’autre se nuançait d’une certaine préciosité qui en effet que la recherche et le discernement des nuances exactes. Mais Joubert, plus retiré en lui-même, d’une imagination expansive, ne savait pas transformer ses observations et ses pensées en personnages de drame ou de comédie. Jouberf n’aurait jamais écrit L’Amour et le Secret, le chef-d’œuvre d’André Beaunier, mais il aurait certainement apprécié cette fine analyse des plus fortes passions, cette pointe subtile qui va jusqu’aux nerfs les plus sensibles. Joubert n’aurait jamais pu faire un livre dans le genre de ces livres extraordinaires : La Jeunesse de Joseph Joubert, Joubert et la Révolution et le Roman d’une amitié. Nous n’avons rien de comparable sur la fin du xviiie siècle. Personne n’en a tenté une résurrection aussi minutieuse que Beaunier. Ses livres sont le vivant commentaire du Journal intime. Ils nous plongent dans les différents mondes où il a pris naissance et dont ils reflètent quelques-unes des tendances on des réactions. Chemin faisant, que de réflexions pittoresques, ironiques ou tendres et souvent exquises inspirent à l’historien son voyage à travers cette société d’avant le déluge et du déluge ! Que de portraits qui s’animent sous nos yeux et qui nous parlent : le vieux Diderot éperduement jeune, dont la folie est moins funeste que celle de Jean-Jacques, parce qu’elle ressemble moins à la sagesse ! Fontanes, non pas Grand Maître de l’Université, mais jeune, mélancolique et déluré ; l’éclaboussant Restif de la Bretonne, et beaucoup dont les aventures nous produisent un effet de fourmillement.

Cependant cette préface qu’il ne fera pas, ne l’avait-il pas à peu

  1. Les lignes qu’on va lire sont de M. André Bellessort, à qui nous avons demandé de présenter les citations extraites des œuvres d’André Beaunier, cependant que pour la Notice Biographique nous nous sommes adressés à Mme André Beaunier. N. D. L. É.