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ABANDONNÉE

dans une chambre somptueuse et claire du nouveau château. Dieu a béni l’union de Paule et de Roger.

Et Mlle Irène, les yeux extasiés, contemple le cher bébé en qui revivra la race des Montscorff.

Par une délicatesse qui le peignait tout entier, le comte avait fait ajouter ce nom au sien, lorsque le nouveau-né fut déclaré à la mairie de Cléguer, et c’est encore un Paul de Peilrac-Montscorff qui a ouvert ses grands yeux bleus à la lumière.

Mlle Irène n’est pas la seule à contempler, ravie, le doux enfantelet qui lui représente Paule au berceau, Mireille quitte à peine la pièce où repose ce frère attendu avec tant d’impatience, et qui ressemble si intimement à la comtesse. Elle le berce, lui parle avec des mots délicieux qui remuent infiniment le cœur de la mère.

C’est un lien de plus entre elle et Mireille, que ce petit être, car elle ne craint pas la jalousie qui souvent survient entre les enfants de deux mères, elle sait trop combien sa fille est loin de ce sentiment si bas.

Le comte est aussi fier que sa belle-sœur de cet héritier de son nom ; il le pensait destiné à disparaître avec lui, et ce petit espoir souriant dans son berceau lui prouve qu’il brillera encore du même éclat.

Il l’élèvera dans les principes de la religion et de l’honneur, cet enfant déjà si cher, et avec ces deux guides il ne s’écartera pas du droit chemin. N’aura-t-il pas du reste dans les deux familles l’exemple d’une longue lignée d’intègres et de valeureux gentilshommes ?

Et Paule ? Comment peindre l’immense félicité de cette âme faite de charité et d’amour ! Elle qui trouvait tant de tendresse en son cœur pour le répandre sur l’abandonnée, quel trésor en découle maintenant pour cet être qui tient à elle par toutes ses fibres !

Ces transports ne peuvent se décrire, il faut les ressentir pour en goûter la plénitude.

Depuis quelques mois seulement la famille de Peilrac-Montscorff réside au nouveau château, elle y est entrée assez à temps cependant pour que le petit Paul y pût naître.

Mlle Irène occupe toujours les Magnolias avec ses fidèles serviteurs ; elle l’a préféré ainsi pour être plus libre, et Paule n’a pas insisté. Les deux châteaux sont si près l’un de l’autre ! Il a suffi à l’aînée des Montscorff que la demeure familiale ait été relevée, et maintenant qu’un enfant de la race y est né, son bonheur est complet.

Ce jour qui voit flotter aux tourelles tant de drapeaux multicolores est celui du baptême de Paul.

Il a fallu attendre les chers amis de Majorque pour cette cérémonie ; ils avaient été à la peine, ils devaient être à la joie, à l’honneur. Et c’est M. Falouzza qui accompagnera Mlle Irène : pouvait-on choisir à l’enfant une marraine et un parrain plus dignes de ce beau titre ?

Ah ! que Carmen et Inès, les jolies jumelles, ont vite sympathisé avec Mireille ! De véritables sœurs ne s’aimeraient pas davantage.

Thérésa a été aussi conquise par la grâce et le charme de Paule.

— Je crois revoir Marie, mon cher comte ! a-t-elle dit à Roger, tout ému par les ressouvenirs évoqués. Elle a ses traits charmants, et aussi sa nature exquise. Dieu vous avait bien frappé, mais après les larmes il vous a donné le bonheur idéal, celui que l’on rencontre bien rarement sur cette terre d’exil.

Tous les amis des heureux époux sont donc réunis en la seigneuriale demeure pour cette fête religieuse et intime. Les riches et les puissants de ce monde coudoient les plus humbles, que les nobles cœurs qui s’appellent Paule et Roger n’ont pas écartés en ce jour de douce et fière réjouissance.

La famille Kerlan a été accueillie comme elle le méritait.

M.  et Mme des Roulleaux avaient été invités des premiers ; le comte n’oubliait pas ce qu’il devait à l’homme sympathique qu’était le sous-préfet de Bayonne.

Le grand âge du Dr Queltin l’avait empêché d’entreprendre ce long voyage, ses vœux seuls sont parvenus, bien sincères, pour le nouveau-né. Mais le Dr Conlau s’était empressé d’accourir avec sa femme.

Par cette splendide journée de juin qui s’alliait bien à la joie de tous, Paul de Peilrac-Montscorff, entouré de ses parents ravis, de leurs amis joyeux, fut porté à la petite église, aussi fleurie qu’une serre, pour y recevoir le titre si beau de chrétien, devant lequel tous les siens s’effaçaient.

Ce fut encore l’abbé Doltan qui versa sur la tête du nouveau-né l’eau qui purifie, et lui mit sur les lèvres le sel amer. Symboles d’une vie de foi, de sagesse et d’amour, occupée avant tout à chercher la voie de Dieu, malgré toutes les injustices et les persécutions.

Et la cérémonie achevée, le vénérable prêtre monta dans une des voitures du château afin de prendre sa part des réjouissances de cette famille dont il avait connu les douleurs et les joies.

C’est fête dans la commune tout entière, car cette fois encore le don de joyeux avènement a été royalement payé. Pas un petit enfant de Cléguer à Pont-Scorff qui ne sourie en entendant sonner les cloches vibrantes. Les mères émues s’unirent aussi du fond du cœur à ces heureux ! Ils savaient si bien partager leurs richesses, qu’on ne songeait pas à les envier.

Les châtelains de Montscorff pouvaient lire sans y voir un reproche la magnifique poésie du grand poète sur la charité.

Donnez, riches, l’aumône est sœur de la prière…
Hélas ! quand un vieillard sur votre seuil de pierre,
Tout raidi par l’hiver, en vain tombe à genoux ;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous !


fin



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