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ABANDONNÉE

Les cérémonies achevées, la petite fille les rejoignit, le front radieux, ayant pour tous des caresses et des paroles tendres. Mais c’était vers son père et Paule que tout son cœur aimant se portait ; elle se suspendait à leurs bras, les réunissant parfois dans la douceur expansive de ses étreintes.

Et la jeune femme n’en semblait nullement embarrassée ; elle planait encore en esprit dans les sphères radieuses où son âme de croyante avait trouvé la consolation. Aussi souriait-elle, pleinement joyeuse, puisque Mireille l’était.

Le soir les réunit au château des Magnolias où avait lieu le dîner de fête que chaque famille riche ou pauvre désire, afin d’entourer l’enfant de tous ceux qu’il affectionne en ce jour grand entre tous.

Chaque communiant indigent avait reçu une large part des mets savoureux, des friandises et des vins fins dont la table allait être couverte. Du reste, Mireille avait pourvu à bien des toilettes, qui sans elle auraient même manqué du nécessaire. Comme la cérémonie de son baptême, celle de sa Communion devait débuter par la charité.

Cette question du repas avait été discutée quelque temps à l’avance. Le comte voulait d’abord qu’il se fît chez lui, mais devant une certaine tristesse qu’il lut sur le visage si ouvert de Paule il s’inclina en disant :

— Si vous jugez bon de nous recevoir chez vous, Mesdemoiselles, nous l’accepterons volontiers.

— Cela serait plus raisonnable, comte, lui avait répondu Mlle Irène. M. le curé pourrait y assister, ainsi que notre jeune amie Alice, Cléguer étant très près du château.

Et devant une table somptueusement servie, où les cristaux et l’argenterie massive des grands jours étincelaient parmi les fleurs, ils se placèrent tous autour de la petite élue du Seigneur qui rayonnait entre Paule et son père.

La famille Kerlan était aussi venue prouver son affection et sa reconnaissance à l’enfant dont la petite main s’était ouverte si généreusement pour elle. Louise avait été mise à la droite du comte.

Marie et Louis n’avaient plus de paroles pour témoigner leur admiration à leur petite amie, qui avait gardé sa blanche toilette. Elle était vraiment délicieuse dans cette virginale mousseline, sous ces roses si parfaitement imitées qui, dégagées du voile, se mêlaient à ses boucles d’un brun doré.

— Est-ce que tu auras toujours une robe longue à présent, Mireille ? osa demander la petite fille.

— Oh ! non, répondit la fillette. C’est ma toilette de cérémonie, vois-tu ; mais demain je reprendrai ma jupe courte.

— Tant mieux ! s’écria Marie comme soulagée. Sans cela, comment aurais-tu fait pour jouer avec nous à chat-perché ?

Cette naïve repartie fit rire.

Et cependant le front de Paule s’assombrit encore. Hélas ! dans quelques jours Mireille ne serait plus là pour courir avec sa compagne sur la pelouse !

Roger s’aperçut de cette mélancolie subite, mais il savait aujourd’hui que d’un mot il allait la faire disparaître. Quelle joie il aurait bientôt de prendre sa fille, de la placer entre les bras de la jeune femme en lui disant :

— Soyez vraiment sa mère, et laissez-moi aussi vous témoigner à toutes les deux l’affection profonde qui remplit mon cœur.

— Il me manque encore un ami, ce soir, s’écria soudain Mireille.

— Le bon docteur, n’est-ce pas ? dit Mlle Irène qui présidait en face d’elle, ayant à sa droite leur dévoué pasteur, et M. Kerlan à sa gauche. Il n’a pu venir, à son grand regret, mais il compte bien nous donner toute sa journée dimanche.

— Alors, ce sera encore jour de fête pour tous, dis, papa ?

— Oui, ma chérie ! Cette fois, c’est à Pont-Scorff que nous nous réunirons, et ta joie n’aura pas un nuage : je te le jure !

Que signifiaient ces paroles ? Le comte semblait les jeter à tous, le visage transfiguré.

Un pressentiment joyeux anima cette assemblée amie, et la fin du dîner s’en ressentit. Plus de contrainte, une douce et saine gaieté qui mit en effet une joie dans chaque regard.

En prenant congé de Mlle Irène, l’abbé Doltan lui murmura :

— Votre Paule touche au port du bonheur, chère Mademoiselle ! Dieu a conduit vers elle la colombe de l’arche : bénissons son saint nom.

CHAPITRE VIII

LA FLEUR D’AMOUR


Moins perspicace que le bon abbé habitué à lire depuis tant d’années dans les âmes les plus fermées, Paule n’avait pu renaître à l’espoir après ces paroles mystérieuses dites par le comte la veille.

Et c’est pourquoi, après une nuit un peu fiévreuse, le matin la trouvait encore perplexe. M. de Peilrac voulait-il passer l’été en Bretagne, ou désirait-il s’y fixer ? C’était la seule solution qu’elle avait trouvée au problème posé devant elle.

Elle n’avait pas voulu comprendre les regards plus tendres de Roger, la douceur de sa voix quand il lui parlait.

— Reconnaissance pour les soins donnés à sa fille, se disait-elle.

Cette perspective de garder Mireille l’enchantait, mais aussi la jetait dans un grand trouble. Comment fermer la blessure de son cœur si celui qui l’avait faite demeurait toujours à ses côtés ? Par l’absence, elle aurait pu se cicatriser, après bien des souffrances sans doute, mais auxquelles Paule se résignait. En serait-il ainsi maintenant qu’elle le verrait à toute heure ?

Et, de nouveau, un cercle de fer comprimait son front.

Aussi, lorsque sa sœur lui demanda si elle voulait l’accompagner à Lorient où elle se rendait pour des achats, déclina-t-elle l’invitation, sous le prétexte d’un travail à terminer.

Sans faire d’observations, Mlle Irène partit, sereine, avec Mireille et sa gouvernante. La confiance de l’abbé Doltan régnait en elle ; moins prévenue que Paule, elle avait pu libre-