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ABANDONNÉE

Vous mettrez sur ma tombe un chêne, un chêne sombre,
Et le rossignol noir soupirera dans l’ombre :
« C’est un barde qu’ici la mort vient d’enfermer ;
Il aimait son pays et le faisait aimer. »

Il fallut songer au retour, malgré le charme qu’éprouvaient ces deux natures poétiques à errer entre les tombes fleuries par ce bel après-midi, où une brise fraîche soufflait de la mer. Elles regagnèrent la voiture et furent bientôt à Kerentrech, après avoir retraversé Lorient.

Quel accueil chaleureux Mireille reçut dans la petite maison du faubourg ! C’était aussi un foyer qu’elle retrouvait là !

Et l’enfant pieuse, en quittant les nobles cœurs qui l’habitaient, remerciait Dieu de toute son âme, car elle se dirigeait encore vers un autre intérieur où battaient des cœurs nobles et bons dont elle était la petite reine.



DEUXIÈME PARTIE

L’INCONSOLÉE

CHAPITRE PREMIER

LE CASTILLO DES ROSES


Les Baléares !

À ce nom, quelle évocation de ciel d’azur se reflétant dans la mer immense, de fleurs et de parfums, de vols d’hirondelles et de chants d’oiseaux, de brises tièdes et de beaux horizons !

Et cependant les deux îles principales de cet archipel, sans parler de Cabrera, de douloureuse mémoire, diffèrent assez sensiblement l’une de l’autre par la température.

Quand Majorque est abritée des grands vents du large par ses montagnes et les côtes de l’Espagne, Minorque en est la proie. Aucun abri ne la protège des vents impétueux du golfe du Lion et des flots irrités qu’ils soulèvent.

Leur extrême violence se remarque par l’aspect des arbres de Minorque. Sur certains points exposés plus cruellement aux furies de l’air, ils se tordent et inclinent vers le sol leurs branches échevelées, aux feuilles roussies. Les racines sortent presque de terre : elles ont l’aspect de bêtes monstrueuses, en des poses farouches ou implorantes. Et les sifflements du vent ajoutent encore au tragique de ces attitudes. Ces arbres semblent souffrir et se plaindre de cette aridité du sol et de cette inclémence du ciel qui ne leur permettent pas d’étendre de puissants rameaux.

Il est certainement des vallées abritées où les beaux arbres croissent, libres de toute contrainte, où les fleurs peuvent élever vers l’azur leurs grâces parfumées, par exemple au barranco d’Algendar, où se trouvent de véritables et nombreuses beautés naturelles ; mais les côtes se ressentent toujours des folles brises du large.

Majorque jouit, au contraire, d’un climat tiède et bienfaisant. Elle s’étale sous le soleil, souriante et ravie, et la brise légère, qui, par instant, passe sur elle, est tout embaumée des senteurs des fleurs et rafraîchie par les flots qui, doucement enlacent l’île charmeuse d’une ceinture mouvante d’un bleu de rêve.

Le voyageur que la fortune amie dirige vers ces îles peut les parcourir de nuit et de jour sans redouter de fâcheuses rencontres. Pas un malfaiteur ne l’attaquera sur sa route, dans les lieux les plus écartés ; pas un animal dangereux ne s’élancera d’un buisson pour lui porter une mortelle blessure.

Non seulement l’accueil le plus cordial lui sera fait, mais il rencontrera sur différents points de Majorque des lieux de refuge, ou kospederia, et pendant trois jours il y trouvera un lit, une table où sont servies l’huile et les olives, et du feu pour faire cuire les aliments apportés.

Majorque réunit tout ce qui peut charmer l’esprit, les yeux, le cœur. Une nature admirable où les côtes splendides mènent aux montagnes grandioses, où les bois touffus ont pour contraste les plaines fleuries des plantes les plus odoriférantes, où les grottes merveilleuses et enchantées se succèdent pendant des lieues, de plus en plus belles et mystérieuses.

Qu’elle est riante, cette Palma, la capitale de l’île, avec ses maisons blanches comme de beaux marbres, se mirant dans l’onde bleue, ou s’étageant parmi les luxuriantes verdures que trouent les flèches élancées de ses nombreuses églises !

Par des chemins charmants bordés de lavandes, de bruyères arborescentes, de myrtes, de romarins, on gagne le Terreno, ce faubourg de Palma, où s’élèvent les maisons de plaisance que les Majorquins riches habitent pendant l’été. Certaines se trouvent à une demi-heure de la ville, et toutes offrent un aspect hospitalier, avec les jardins fleuris et ombreux qui les entourent, la mer au chant berceur qui plisse non loin sa robe d’azur.

Une poétique habitation se montrait, plus gracieuse encore, à travers les orangers de son jardin. Un peu à l’écart des autres, elle se détachait, toute blanche, dans des enlacements de fleurs, sur la verdure sombre des beaux arbres qui formaient son petit parc. On la nommait le castillo des Roses, et ce nom lui convenait bien. De splendides arbustes étoilés de roses de toutes teintes enguirlandaient les larges balcons qui se continuaient tout autour de l’édifice.

Le petit château n’avait qu’un étage au-dessus de son rez-de-chaussée ; les hautes fenêtres en ogives étaient séparées par un pilier de marbre blanc du plus bel effet. Le toit avait un auvent sculpté qui protégeait les balcons ; ils formaient ainsi une longue galerie ou salon extérieur que des nattes, des sièges de toutes formes, de petites tables garnissaient d’une façon confortable et originale.

Sur une chaise longue, adossée à un grand rosier du balcon, une jeune femme était à demi étendue. Dans sa simple robe blanche, avec ses grands yeux bleus, sa chevelure d’un blond doré et soyeux, son teint pâle où ses lèvres se détachaient aussi rouges que les fleurs des grenadiers de la terrasse, il émanait d’elle un charme pénétrant, en ce décor bien digne d’encadrer sa beauté.