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ABANDONNÉE

— Allons sur le lac ! s’écria Mireille ! Oh ! voulez-vous ? Cela sera si charmant !

Et déjà elle se levait et semblait implorer leur assentiment.

Toutes rirent de cet enthousiasme.

— Nous allons prendre une tasse de thé, dit Mlle Irène, ensuite nous irons reconduire Alice, et chacune regagnera sa chambre. Il est trop tard pour songer à aller chanter sur le lac.

— Mais un autre soir, vous le permettrez, n’est-ce pas, tante Irène ?…

La voix de la petite fille se faisait insinuante.

— Oui, oui, petite enjôleuse ! En attendant, passons dans la salle à manger.

Et bientôt, sous le doux éclat de la lune et du ciel étoilé, par ce chemin creux bordé de bruyères à la délicate senteur, le petit groupe s’acheminait vers Cléguer.

Et c’était toujours l’instruction de Mireille que toutes avaient en vue. Le firmament étincelant faisait ce soir-là le sujet de la conversation, comme dans une promenade matinale c’eût été la flore charmante des prairies et du bord de la rivière. On nommait à l’enfant quelques-unes de ces merveilleuses étoiles, fleurs d’or de la voûte céleste, en lui faisant connaître en même temps la bonté et la puissance de Dieu.

Mireille, élevée par Juana, dont la piété était grande malgré ses fautes, était elle-même excessivement pieuse. C’était toujours avec une joie très vive qu’elle se rendait à la messe chaque dimanche, et assez souvent dans la semaine, depuis que sa santé le lui permettait.

Paule avait commencé à lui faire étudier le catéchisme ; elle désirait qu’elle pût être prête pour la première Communion au mois de mai suivant, et c’est de tout cœur que la petite fille s’initiait aux préceptes et aux mystères de notre religion.

La nature de Mireille était extrêmement poétique et tendre. Aussi son livre par excellence était l’Histoire Sainte, qu’elle se plaisait à relire avec un intérêt toujours nouveau. La scène si gracieuse de la moisson où Ruth rencontra Booz, celle si touchante de Joseph vendu par ses frères, le berceau de Moïse aperçu sur le Nil par la fille de Pharaon la ravissaient.

Puis c’était la naissance de l’Enfant-Dieu, avec son cortège d’anges, de bergers et de mages. Oh ! cette nuit de Noël, avec quelle impatience elle en attendait la venue !

— Car nous irons à la messe de minuit, n’est-ce pas, maman ? disait-elle.

Et Paule était si remuée par ces deux syllabes, dites par cette voix caressante, elle qui ne croyait jamais les entendre, qu’elle promettait tout dans un baiser.

Elle voulut faire connaître Lorient à sa fille. Il fallait bien l’initier à l’histoire des grands hommes dont les statues en ornent les principales avenues. Une d’entre elles captivait surtout la jeune femme, c’était celle de Brizeux, le poète des Bretons et de Marie ; elle l’aimait parce que, comme elle, il avait chéri sa Bretagne, il l’avait chantée et fait glorifier.

— Si tu le veux, Mireille, dit-elle un beau matin d’août, que le soleil légèrement voilé par quelques nuées blanches ne donnait qu’une chaleur tempérée, si tu le veux, nous nous rendrons à Lorient, que tu ne connais pas. Après avoir visité la ville et le cher docteur, nous passerons par Kerentrech pour embrasser tes petits amis Kerlan.

Et l’enfant avait commencé par embrasser sa mère, comme pour la remercier, mais son sourire était contraint.

Bientôt, conduites par Guillaume, elles roulaient sur la grande route, confortablement assises dans la légère voiture.

Cette phrase dite par Paule revenait à l’esprit de Mireille en voyant apparaître les premières maisons de la sous-préfecture. Ne pas connaître Lorient ! Avec quel frisson d’angoisse au contraire elle se rappelait cette place d’Alsace-Lorraine ! Elle y avait tant souffert pendant ces représentations qui la mettaient au supplice, surtout dans cet état de faiblesse où la jetait l’anémie dévorante !

Et cette église Saint-Louis, aux lourds piliers, où Juana l’avait menée un soir, comme si elle n’eût pas osé affronter les regards sous la pleine lumière du jour. Elle y avait entendu pleurer la malheureuse femme, aux pieds de cette Vierge dont le miséricordieux sourire était pourtant fait pour consoler et pardonner. C’est avec une réelle tristesse qu’elle passa dans ces rues, en cherchant inconsciemment parmi tous ces visages inconnus les grands yeux noirs de Juana.

Elle était vide de baraques et de roulottes, cette place d’Alsace-Lorraine, quelques rares passants la traversaient, et les grands arbres ne jetaient plus leurs ombres sur la foule joyeuse.

Paule s’était aperçue de cette attitude attristée qu’elle n’avait pas vue chez la petite fille depuis de longs jours. Et sur sa remarque déjà alarmée :

— Je suis un peu fatiguée, avait-elle répondu.

— C’est l’air raréfié de la ville qui en est la cause, chérie ; tu es habituée maintenant à la paix des champs. Aussi allons-nous y retourner.

Elles se rendirent tout d’abord chez le Dr Conlau dont l’aimable femme combla Mireille de caresses et de friandises. Après avoir parcouru la Bôve, où s’élève la belle statue en marbre blanc du compositeur Victor Massé, la place Bisson, avec le monument du héros lorientais de ce nom, elles arrivèrent au square où le doux chantre de la Bretagne sourit à la mer au milieu des fleurs.

Mireille s’était un peu ressaisie, et lorsque Paule voulut remettre à un autre moment le pèlerinage au cimetière où se trouve la tombe du poète, elle insista pour y aller.

— Ma fatigue commence à se dissiper, dit-elle ; puis je ne l’augmenterai pas, puisque je n’ai pas à marcher.

La voiture se dirigea vers Carnel, où la nécropole des Lorientais s’étale devant les flots mouvants, avec ses grands beaux arbres et ses murs revêtus de lierre.

Sympathisant avec tout ce que Mlle de Montscorff aimait, ce fut d’un air recueilli que l’enfant s’agenouilla sur le tombeau de Brizeux.

— Tu vois, Mireille, le chêne qu’il avait désiré ombrage son buste.

Et Paule murmurait :