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ABANDONNÉE

Dans un élan de son cœur aimant et pieux, elle lui tendit les fleurs embaumées.

— Qu’elles vous rappellent la Bretagne, dit-elle avec émotion, et vous y ramènent… guéri.

Il les prit, plein d’émoi, en s’inclinant profondément, et il effleura de ses lèvres les doigts blancs qui les lui présentaient.

— À bientôt, fit-il d’une voix tremblante, je l’espère !…

Elle ne devait plus le revoir.

Elle sut seulement par les journaux qu’il se distinguait de plus en plus dans l’art médical. Mais de son âme égarée, nul ne parlait.

Deux ans après cette dernière rencontre, Paule était seule au château, lorsque le facteur lui remit un petit paquet. « Pourquoi s’enferma-t-elle dans sa chambre pour savoir ce qu’il contenait ? Pourquoi ses mains tremblèrent-elles en découvrant sous ces papiers un écrin en cuir de Russie ?

Elle l’ouvrit, et, pâle comme si la mort l’avait déjà effleurée de son aile, elle reconnut, épinglées sur le satin blanc, les bruyères du Scorff.

— Il est mort !… s’exclama-t-elle, défaillante.

Et elle vint tomber à genoux devant une admirable tête de Christ suspendue au chevet de sa couche, où chaque jour elle offrait à son Créateur sa journée de bonnes œuvres et de simples plaisirs.

Elle pleura longtemps, prosternée sur son prie-Dieu ; elle pleura ses rêves brisés, en implorant le Seigneur pour celui qu’elle aimait encore avec tout son cœur. Puis elle enferma dans leur écrin les bruyères au vague parfum, qui ne le ramenaient pas vers elle aimant et croyant comme elle l’avait espéré.

Le soir, Irène, qui lisait un journal de Paris, eut un vif mouvement ; elle regarda sa sœur avec effroi, et, froissant la feuille, elle se disposa à quitter le salon.

— Il est mort, n’est-ce pas ? interrogea Paule d’un ton bref.

— Qui te l’a dit ?

— Je le pressens. Donne-moi ce journal, je te prie.

Elle lut sans une larme, mais, la lecture terminée, elle s’affaissa dans son fauteuil, échappant pour un moment à sa douleur amère. Quand elle revint à elle, soignée par sa sœur affolée, une violente crise de pleurs soulagea son pauvre être désespéré.

Mlle Irène la laissa sangloter.

— C’est l’épilogue de mon roman, dit-elle enfin d’une voix brisée. Il a été bien court et bien triste !

— Je suis là, ma bien-aimée, et, Dieu aidant, je te consolerai ! s’écria l’aînée des Montscorff, en l’embrassant ardemment.

— Oh ! sans toi, pourrais-je vivre !…

Dans une note élogieuse et pour sa science et pour son réel mérite, le journal relatait la mort du Dr Yves Kerneste. Ayant contracté le croup au chevet d’un enfant, il avait été foudroyé par la terrible maladie.

Avant le moment suprême, Yves eut la force de charger un ami de faire parvenir les fleurs du souvenir à celle qui l’attendait toujours aimante et confiante.

Cette pensée de l’heure extrême persuada à Paule que cette âme dévoyée avait dû avoir un cri d’amour vers son Créateur.

— Dieu, dans sa miséricorde envers nous, est si infiniment bon ! se disait-elle. Un élan vers sa tendresse de Père, à l’instant où la mort approche, et ses mains divines s’étendent pour le pardon.

Et ses prières montaient ardentes, vers le ciel pour celui qu’elle avait aimé, pour le noble cœur qui avait succombé au champ d’honneur.

Elle le pleura en silence, prosternée au pied de l’autel. Puis le temps fit son œuvre, et ses regrets devinrent moins vifs. Mais elle ne voulut jamais se marier.

Le colonel Pourlin, un ami de son père, lui proposa un jeune lieutenant noble et riche, dont l’éducation répondait à la sienne ; elle le refusa d’une voix si nette qu’il ne crut pas devoir insister.

Mlle Irène ne voulut pas davantage intercéder près de sa sœur, ni en faveur de ce prétendant, ni de ceux qui se présentèrent. Et c’est ainsi qu’elles vivaient encore ensemble dans la demeure riante qui se cachait sous les ombrages embaumés des grands magnolias.

Paule, qui à sa foi avait sacrifié son amour, continuait sa vie toute de charité, soignant et consolant les malades.

Elle n’avait plus aucun espoir de bonheur terrestre, elle ne serait jamais ni épouse, pensait-elle, ni mère, mais l’espérance divine lui souriait dans l’azur du ciel. Que lui importait cette vie si brève ! N’avait-elle pas en perspective cette éternité bienheureuse promise à ceux qui n’ont jamais douté, qui ne se sont jamais découragés ?


CHAPITRE IV

LA MISSION DU DOCTEUR


C’était vers cette demeure bénie de tous, puisqu’elle était habitée par des âmes d’élite, que se rendait le Dr Conlau, en ce beau dimanche de mai, qui l’avait vu le matin au chevet de Mireille. Il y allait sans une hésitation, sans crainte d’un refus.

Médecin de la famille, il avait intimement connu le commandant de Montscorff, avec qui il sympathisait complètement, malgré la différence d’âge. Depuis la mort de leurs parents, il visitait souvent les deux isolées ; il savait donc quels cœurs généreux, accessibles à toutes les souffrances, étaient les leurs.

Sûr du succès, il pressait l’allure de son vieux cheval, ce fidèle compagnon de ses courses sans trêve à travers la campagne bretonne.

La première personne qu’il rencontra dans l’avenue des Magnolias fut Mlle Irène. Elle le salua par ces mots :

— Quelle bonne œuvre vous amène, mon cher docteur ?

— Vous ne savez pas si bien dire, vraiment ! répondit-il gaiement.

Leurs deux mains se serrèrent cordialement.

— Vous nous restez pour le dîner, n’est-ce pas ?