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HISTOIRE DE l’AFFAIRE DREYFUS


du 3e bureau avec le colonel Boucher et le commandant Picquart ; au jour le jour, il leur racontera ses impressions, les incidents et les rumeurs.

Chose curieuse : cette mission spéciale qui fut confiée à Du Paty, qu’il a racontée lui-même, la plaçant à cette date, et que Picquart a connue, ni Gonse, ni Boisdeffre, ni Mercier n’en parlent dans leurs nombreuses dépositions. Ils la passent sous silence. Pourquoi ? Est-ce pudeur d’avoir eu recours, en d’aussi graves circonstances, à Du Paty, devenu, par la suite, le bouc émissaire de l’État-Major ?

Du Paty ne connaissait pas, dit-il, l’écriture de Dreyfus ; Gonse lui demanda « s’il croyait que ces diverses pièces émanaient de la même personne ».

Du Paty, après examen, répondit affirmativement.

Gonse lui révèle alors « qu’il s’agit d’une trahison et qu’une enquête, faite dans les bureaux, a fait porter les soupçons sur le capitaine Dreyfus ». Sur quoi, « devant un fait aussi grave, Du Paty demande à reprendre son examen d’une façon plus approfondie[1] ».

Ainsi, dès ce premier soir, toute cette horrible accusation se concentrait dans une expertise d’écriture. Et cette expertise était confiée à un amateur.

Le colonel Boucher, chef du 3e bureau, où avait travaillé Dreyfus en dernier lieu, demanda immédiatement à Picquart de réunir « une grande quantité de ses écritures ». Picquart les étudia au passage. Bien qu’il ne fût point des amis de l’officier mis en cause, il avait gardé son sang-froid. Il fit observer au colonel que les écritures étaient, sans doute, « de même famille », mais que les divergences étaient trop nombreuses pour qu’il pût attribuer le bordereau à Dreyfus[2].

  1. Rennes, III, 505, Du Paty.
  2. Cass., I, 126 ; Rennes, I, 376, Picquart.