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LE BORDEREAU


continuer jusqu’à son retour au ministère son épreuve comparative, de ne pas ébruiter la chose et d’agir très prudemment, en raison de la gravité de l’affaire ». Le général Renouard assiste à la conférence[1].

Boisdeffre sort. Est-ce l’heure où, quotidiennement, il a coutume d’aller entretenir le Père Du Lac ? Gonse appelle dans son cabinet les colonels Sandherr, Lefort et Boucher. Le premier apporte l’original du bordereau ; les deux autres, des spécimens de l’écriture de Dreyfus. On procède à des comparaisons, « qui ne firent encore une fois, dépose Fabre, que confirmer nos appréciations ». Sandherr, antisémite passionné, « dès qu’il connut le nom de l’officier incriminé, dit que ce nom ne l’étonnait qu’à moitié ». Il s’écrie, se frappant le front : « J’aurais dû m’en douter[2] ! »

Le chef du service des renseignements déclare encore « qu’il a vu Dreyfus rôder à diverses reprises pour lui demander des renseignements et lui poser des questions auxquelles il n’avait pas répondu d’ailleurs, sur son service[3] ». Or, Sandherr connaissait si peu Dreyfus qu’un jour, rentrant au bureau, sous le porche du ministère de la Guerre, il le salua d’un nom qui n’était pas le sien.

Sandherr, comme Dreyfus, était de Mulhouse. La famille de Dreyfus y était réputée pour son patriotisme ; la sœur de Sandherr était la première mulhousienne qui s’était mariée à un Prussien.

Boisdeffre rentre à l’État-Major, « entre cinq et six heures du soir ». Informé par Gonse et par les quatre colonels, il rend compte aussitôt au ministre[4].

  1. Rennes, I, 572, Fabre.
  2. Rennes, I, 578, D’Aboville.
  3. Rennes, I, 572, Fabre.
  4. C’est la version du colonel Fabre (I, 572). — Selon le colonel