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LE BORDEREAU


grief valait celui de Roget : « Dreyfus était entré dans mon service sans avoir été demandé par moi. Mis au courant des grandes lignes du service sur le réseau de l’Est, auquel il semblait apporter le plus vif intérêt, il n’a pas tardé à accuser, au lieu du grand zèle qu’il montrait d’abord, une extrême nonchalance pour traiter les questions de détail du service courant. » Dès lors, quand Dreyfus quitte le 4e bureau, Bertin lui donne des notes « conçues de telle façon qu’il ne puisse jamais entrer au service des chemins de fer[1] ».

La seule note que retiennent Fabre et D’Aboville, c’est donc celle-là, due à une « mauvaise impression » de Roget, à l’antipathie du « marrane » contre le juif. Dès lors, les autres notes, toutes très bonnes, sont comme si elles n’existaient plus.

IV

Cependant, comme la conversation se prolonge, une objection vient à D’Aboville : « L’auteur du bordereau écrit à son correspondant qu’il va partir en manœuvres : Dreyfus est-il allé aux manœuvres[2] ? »

Objection capitale, obstacle insurmontable si Dreyfus n’est pas allé aux manœuvres. En effet, il n’y est pas allé. Donc, le traître, ce n’est pas lui. Tout est à recommencer. Et, bien plus, tout le système de D’Aboville s’écroule, car aucun des officiers stagiaires de l’État-Major, de cette première enceinte où il affirmait que le traître était nécessairement, aucun d’eux n’est allé aux manœuvres. Une circulaire du 17 mai 1894

  1. Cass., II, 43, Bertin-Mourot.
  2. Rennes, I, 580, D’Aboville. — De même à l’instruction D’Ormescheville. (Cass., II, 40.)