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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le conteste[1]. L’avocat connaît la preuve matérielle du crime que le Gouvernement ne peut pas publier, sans risquer « d’amener la guerre » : qu’il se taise ! « La robe, écrit un autre, ne doit pas couvrir le mensonge[2] ». Plus vil encore, le Petit Journal invite Demange à se contenter de ses honoraires « qu’il a bien gagnés, si larges qu’ils soient ». « Que l’avocat perde ou non le sens de sa dignité dans les mollesses courantes, les roueries secondaires de son labeur quotidien, cela ne regarde pas que le Conseil de l’ordre. » De « vilaines aventures » le pourraient surprendre. On le peut excuser d’avoir accepté la défense d’un traître, « curieux d’ajouter à sa galerie un monstre ». Mais, « si le vertige avant la sentence s’explique, la continuation du plaidoyer après la sentence serait presque de la complicité[3] ».

C’est une des pires ignominies de cette histoire.

Ainsi, au nom de la férocité et des plus bas intérêts érigés en patriotisme, défense à l’avocat de dire ce que lui commande sa conscience, défense au penseur qui a été ému de dire son angoisse, défense au journaliste d’écrire qu’une femme a gardé sa foi au plus malheureux des hommes, défense à l’épouse d’embrasser son mari condamné.

Et cette presse qui a allumé l’incendie, maintenant que le feu a consumé tout ce qu’il a pu brûler, s’indigne

  1. Soleil du 9 janvier : « Il se mène une odieuse campagne en faveur de Dreyfus. On a distribué des copies autographiées des déclarations faites, le jour de sa dégradation, par ce misérable. Il serait intéressant de savoir qui a pris l’initiative de cette distribution et quel argent en a couvert les frais. D’autre part, Me Demange, malgré le verdict unanime des sept juges militaires, continue à affirmer que Dreyfus est innocent. Cette campagne est un outrage à l’armée. »
  2. Lepelletier dans l’Écho de Paris du 9.
  3. Petit Journal du 13, article de Jude, intitulé : « Les privilèges de l’avocat : Pour la France ou pour Dreyfus ! »