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LA CHUTE DE MERCIER

Pendant les dix minutes qui suivirent, tous les yeux furent fixés sur le supplice et le supplicié. Puis, la dégradation accomplie, l’étrange confession qu’aurait faite Dreyfus circula[1]. Le commandant, dont le collaborateur de Drumont ignore ou tait le nom, la raconta aux journalistes. Mais déjà la visite de Du Paty à Dreyfus dans sa cellule a disparu du récit, détail trop extraordinaire pour n’avoir pas frappé les avides quêteurs de nouvelles, trop significatif aussi pour n’avoir pas été retranché avec intention[2]. Il n’en reste que le prétendu aveu de l’amorçage, dernier refuge du traître avant l’aveu définitif de tout son crime. Que vaut, dès lors, son éclatante protestation d’innocence ?

« Ce fut, d’abord, une rumeur vague et incertaine ; bientôt, comme en toutes les grandes impostures, plusieurs affirment qu’ils y étaient, qu’ils ont vu ; la joie et la légèreté sont crédules à ces bruits[3]. »

Le commandant de Mitry a causé avec le capitaine Anthoine ; Anthoine a causé avec le commandant d’Attel ; D’Attel a raconté que « Dreyfus, après sa dégradation, a tenu devant lui des propos d’où il résultait que, s’il avait livré des documents, c’était dans le but d’en obtenir en échange de ceux qu’il donnait[4] ».

Ainsi, ce n’est pas seulement avant la parade que Dreyfus a fait des aveux, mais encore après l’horrible

  1. Cass., II, 137, Louis Druet. — Et les journaux, Cocarde, Temps, etc.
  2. L’incident a disparu également de la version que le capitaine Anthoine aurait connue du commandant d’Attel (Cass., I, 282 ; Rennes, III, 84).
  3. Tacite, Histoires, I, xxxiv : « Vagus primum et incertus rumor : mox, ut in magnis mendaciis, interfuisse se quidam et vidisse affirmabant, credula fama inter gaudentes et incuriosos. »
  4. Déclaration du commandant de Mitry au général Gonse, du 22 janvier 1898 (Cass., II, 134). — Voir Appendice XX.