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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


quelque amorçage. Toujours il a affirmé n’avoir jamais commis la plus légère imprudence.

Mercier calculait : Dreyfus s’est obstiné à nier jusqu’alors, parce qu’il se flattait d’une victoire complète. Maintenant, il est vaincu. La tentation ne sera-t-elle pas grande d’échapper à toutes les conséquences de l’irrévocable sentence ? Peut-être à la dégradation ? Peut-être au bagne ? Qu’il avoue quelque chose, n’importe quoi, il sera transporté dans un lieu agréable, sous un ciel doux ; sa femme, ses enfants l’y rejoindront. Ou, du moins, on peut en faire luire l’espoir à ses yeux.

En tout cas, qu’il lâche un mot, un mot seulement, et ce mot devient l’aveu.

On lit dans les annales judiciaires que souvent des innocents, pour échapper au châtiment ou dans la pensée qu’ils l’atténueront, se sont reconnus coupables. Pourquoi Dreyfus n’en allongerait-il pas la liste, brisé, anéanti qu’il doit être, désespérant de tout après le rejet de son pourvoi ?

Qui sait ? peut-être son aveu ne sera pas un mensonge ! Alors Macbeth pourra dormir tranquille.

Ainsi Mercier avait décidé que Du Paty irait, ce même jour, en son nom, trouver Dreyfus dans sa cellule. Il lui dirait le verdict définitif, irrévocable, et, sur la promesse que sa peine serait adoucie[1], que sa femme et ses enfants le pourraient rejoindre en son

  1. Rennes, III, 512, Du Paty : « Ma mission était de tâcher d’obtenir du capitaine Dreyfus, sur la promesse de certains adoucissements de sa peine… » Mercier convient de cette promesse : « Je chargeai Du Paty d’aller trouver Dreyfus et de lui dire que sa condamnation était un fait acquis, mais que l’application de la peine pouvait être mitigée, soit par le choix du lieu de déportation, soit par ses relations avec sa famille, s’il consentait à révéler ce qu’il avait fait. » (Cass., I, 6.) De même à Rennes (I, 10.)