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LA DÉGRADATION


Et la Chambre continue à s’indigner du soupçon insultant pour le conseil de Guerre qui, par ordre, aurait épargné le riche officier. La férocité de ce regret, sur les lèvres de cet orateur au cœur chaud et généreux, étonne les socialistes. Ils se taisent. Pas un applaudissement n’éclate sur leurs bancs quand il descend de la tribune.

Alors Dupuy[1] demande la question préalable sur la motion de Jaurès. « Il lui a plu, dit-il, au nom d’un groupe qui se pique d’internationalisme, de venir ici, sous prétexte de défendre les petits, attaquer la hiérarchie et la discipline de l’armée. Si la question préalable n’était pas opposée à une pareille tentative, le Gouvernement ne resterait pas une minute de plus sur ces bancs. »

Des salves d’applaudissements retentissent. Jaurès, le visage en feu, s’élance à la tribune, renvoie à Dupuy ses accusations ; c’est le ministère et ses amis qui sont les protecteurs d’une bande cosmopolite d’agioteurs. « Vous savez que vous mentez ! » lui crie Barthou. « Le mensonge, tonne Jaurès, il n’est pas chez nous ; il est chez ceux qui, se sentant menacés depuis quelques années dans leur pouvoir politique et dans leur influence sociale, essayent de jouer du patriotisme ! »

Ces parodies des grandes scènes de la Convention n’en reproduisaient que la violence. Les députés s’injurient, se menacent du poing. La censure, avec exclusion temporaire, est prononcée contre Jaurès. Presque toute la Chambre la vote, avec rage.

Spectateur silencieux, je pensais à l’homme qui était la cause de ces fureurs et qui était innocent. Mercier,

  1. « En termes d’une rare insolence et avec une attitude de charretier aviné. » (Libre Parole du 25 décembre.)