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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


l’enfoncer dans l’erreur, car c’est faire preuve de bon sens que de donner raison à ceux qu’a justifiés l’événement, le verdict unanime de sept officiers français ; et toutes ses autres vertus y aident : la haine du crime abject et vil entre tous qu’est la trahison, son amour de l’armée qui ne fait qu’un corps avec la nation, son patriotisme jaloux, sa crainte de la guerre dont l’espion impuni eût fait une nouvelle défaite.

Du même coup aussi, l’antisémitisme fait de nouveaux progrès, descend aux couches profondes, vers le vieux lit où il a coulé pendant tant de siècles. Le doute qui a précédé le procès, en arrêtant le flot pour une heure, l’a irrité ; l’impuissance de la digue vaincue ajoute à la colère du fleuve.

Nulle différence entre le peuple des villes et celui des campagnes, entre le paysan et l’ouvrier, dans cette explosion de sentiments. Et leur bonne foi est complète.

Les patriotes de profession exultèrent de la condamnation comme d’une victoire sur le Rhin ; les antisémites, les moines, toute l’armée cléricale, comme d’un triomphe de la Croix.

Il y a de la pathologie dans le cas de ceux-là ; mais ceux-ci poursuivent leur plan politique : déshonorer les minorités religieuses, les chasser de la vie publique, les exclure de la qualité de Français. La condamnation de Dreyfus, si toute sa race n’est pas condamnée avec lui, aura été inutile. Qu’importe son crime, s’il ne s’étend pas à tous ses frères ! « Hors de France, les Juifs ! la France aux Français[1] ! » Le journal de Drumont pousse le cri de haine. Hier, il eût paru celui d’un fou. Aujourd’hui, l’écho répond.

Drumont ne se tient pas de joie. À la manière des

  1. Libre Parole du 22 décembre.