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LA DÉGRADATION


d’un seul ; même on s’en indigne. C’est que derrière cette généralisation injuste une autre apparaît qu’on a des sujets plus directs de craindre.

La grande masse du peuple, qui voulait la condamnation, y applaudit. Elle avait décidé, à la première nouvelle du crime, que l’accusé en était l’auteur. Un acquittement l’eût désappointée, lui eût paru suspect. Ce n’était pas un simple soldat, et c’était un juif.

Cent fois coupable, puisque riche et officier il a été condamné. À qui fera-t-on croire qu’il l’a été sur un seul chiffon de papier, sur une douteuse expertise ? Propos d’avocats et de journalistes payés. Du coup, la légende des crimes innombrables de Dreyfus se cristallise dans l’âme populaire. Il ne fut jamais de plus hideux scélérat. Bazaine n’avait livré que Metz, l’armée de Gravelotte et cinquante drapeaux. Dreyfus a vendu à la Prusse le secret de la mobilisation. Pour remplacer ce secret par un autre, il faudra trois ans et cent millions. Par bonheur, Mercier, Boisdeffre veillaient, et le Tzar est là.

La condamnation de ce traître, unique dans l’histoire, c’est la preuve que les chefs de l’armée ont été perspicaces. La courte, mais si vive campagne qui a été menée contre Mercier, tourne à son profit. La faveur lui revient ; une nouvelle gloire vient à Boisdeffre qui, déjà, avait fait l’alliance russe. Et la popularité va aux accusateurs publics de Dreyfus, aux citoyens clairvoyants qui ont affirmé son crime dès qu’ils ont su son nom, qui ont poussé Mercier lui-même, Casimir-Perier indécis, que l’or impur n’a pu corrompre ; elle va à Drumont qui, depuis si longtemps, dénonçait la race impie, à Rochefort surtout, proscrit pour avoir été l’ami fidèle de Boulanger calomnié.

Ainsi, son bon sens même aide à tromper le peuple, à