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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Mercier, de Boisdeffre ; tous les officiers de l’État-Major demanderaient à passer en conseil de guerre[1].

Puis, le soir de la quatrième audience, quand le verdict fut connu, une joie sauvage éclata dans la rue du Cherche-Midi, noire d’une foule grouillante, et cette joie se répandit, toute la nuit, sur les boulevards, dans les lieux publics[2], sincère chez tous, les uns parce que l’armée a rejeté un traître de son sein, les autres parce que le condamné est un juif.

IV

Le verdict unanime des juges dissipa les quelques doutes qui s’étaient élevés depuis un mois. En dehors des proches de Dreyfus qui, tous, lui conservèrent leur foi, avons-nous été dix à rester dans l’imprenable forteresse de la raison : pas de crime sans mobile ? Un juge peut se tromper ; pourquoi pas sept ? Pourquoi pas tout un peuple ? Cela, déjà, s’était vu.

Cette unanimité soulagea les consciences qui s’étaient inquiétées ; elle était nécessaire à la tranquillité de chacun[3]. La raison individuelle abdique ; la crainte instinctive d’une erreur, si poignante hier, se transforme en une féroce certitude du crime. « On ouvrirait le cerveau de Dreyfus, s’écrie Saint-Genest, on n’y

  1. Croix du 22 décembre, etc.
  2. Rappel du 28 : « Les premières personnes qui apprennent la condamnation font entendre des cris de joie. Ç’a été, hier soir, le cri de tout Paris ; ce sera aujourd’hui celui de la France entière ».
  3. Matin du 28 décembre, article de Cornély. — De même la Lanterne, le Rappel, du 24, Clemenceau dans la Justice du 25.