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innocence. Elle disait que Brücker avait perdu ces papiers chez elle et qu’elle-même avait été employée, par le capitaine Rollin, à rassurer la femme Bastian qui, prise tout à coup de peur, tremblant d’être déportée « en Sibérie » si elle était surprise dans sa besogne par quelqu’un de l’ambassade, voulait renoncer à son métier.

Les juges furent incrédules à son récit, qui, peut-être, n’était pas entièrement mensonger, et son procès fut instruit avec une rapidité extrême. Six jours après son arrestation, elle était condamnée, à huis clos, par le tribunal correctionnel, à cinq ans de prison[1].

Brücker avait raconté trop d’histoires à sa maîtresse. Il lui avait nommé le serrurier qui fabriquait les fausses clefs à l’usage des agents du service, révélé les mystères de l’ambassade. Il s’était targué d’avoir recollé les papiers, ramassés dans un panier, qui avaient conduit à la découverte de l’espion Greiner. Il s’était introduit lui-même à l’ambassade pour y voler des documents. Sandherr jugea prudent d’employer cet indiscret à des besognes « moins délicates ». On répandit le bruit que Brücker s’était suicidé[2], et on lui retira son rôle d’intermédiaire entre la Bastian et l’État-Major[3].

Désormais, le capitaine Rollin ayant quitté le service[4], la ramasseuse remettra elle-même ses cornets au commandant Henry.

C’était un officier sorti du rang, d’une intelligence robuste, sans scrupule ni culture, ambitieux et docile. Entré au service dans les dernières années de l’Em-

  1. Jugement du 3 janvier 1894, confirmé en appel le 31 janvier. Cass., I, 140, Picquart ; Rennes, II, 501, Cordier, etc.
  2. Cass., I, 140, Picquart.
  3. Rennes, II, 500, Cordier ; II, 529, Lauth.
  4. Rennes, II, 529, Cordier.