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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


les sept, autour de la table du conseil, ils étaient prévenus contre l’accusé : le ministre devait avoir des preuves semeuses pour faire arrêter et mettre en jugement un officier de l’État-Major général. Malgré le vague de l’acte d’accusation, malgré la faiblesse des témoignages, ils étaient restés prévenus, obsédés par cette idée dominante. À leur insu, ils cherchèrent non pas les preuves de son crime, mais celles de son innocence. Pourtant, ils firent effort pour s’isoler des furieuses passions du dehors. S’ils ne s’établirent pas sur le « roc du droit[1] », c’est qu’ils en ignoraient l’existence.

Après les dépositions et les plaidoiries, quand ils entrèrent dans la chambre du conseil, ils étaient plus qu’à demi convaincus par l’idée préconçue que les débats n’avaient point dissipée, par les affirmations formelles de deux experts, par les explications trop minutieuses, trop scrupuleuses (pour ces esprits simplistes) des deux autres qui convinrent de ressemblances[2], et surtout par le témoignage retentissant d’Henry[3]. D’autre part, aucun mobile apparent, aucune preuve ni des voyages clandestins de Dreyfus en Alsace, ni de ses dépenses de jeu. L’objection qu’il était trop intelligent pour laisser apparaître, dans sa comptabilité, très bien tenue, des ressources inavouables, ne supprimait pas ces doutes. Le dossier secret les emporta.

Freystætter, analysant les éléments de sa propre conviction, dit « que les pièces secrètes n’eurent qu’une

  1. Admirable formule de Michelet (Révolution, IV, 312).
  2. Cass., II, 7, Freystætter : « La conviction de la culpabilité de Dreyfus fut amenée par les affirmations de deux experts qui attribuaient nettement le bordereau à Dreyfus ; deux autres experts trouvèrent qu’il y avait de grandes ressemblances et des dissemblances ; les dissemblances furent expliquées par Bertillon. »
  3. Cass., II, 7, Freystætter. — De même Gallet. Voir page 421.