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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Bertillon est un grand savant, le favori de l’État-Major. Extravagant ? Incompréhensible ? Mais, qui voudrait se taxer soi-même de faiblesse d’esprit ?

XII

Les témoins à décharge, qui ne pouvaient invoquer que des preuves morales, eurent vite fait de déposer.

Quand ces Alsaciens, Kœchlin, Jeanmaire, eurent dit l’honorabilité de la famille du capitaine, le patriotisme de ses frères, leurs concitoyens de Mulhouse, les sentiments biens connus du plus jeune, protestataire passionné, son amour de la France et de l’armée, ils furent écoutés avec respect et bienveillance, mais comme s’ils avaient parlé de faits étrangers à la cause.

Du Paty, seul, s’inquiéta, quand ils insistèrent sur l’impossibilité d’un crime sans mobile. Il intervint dans le débat, allégua que l’une des usines de la famille Dreyfus avait récemment brûlé, qu’une indemnité considérable avait été payée ; n’était-ce pas le payement déguisé de la trahison[1] ?

Ainsi la trahison devenait collective, une opération de la raison sociale.

Dreyfus s’emporta contre cette allégation, où Du Paty est tout entier, maladroit, compliqué et scélérat. Démange réclama, par dépêche, les comptes des compagnies d’assurances, qu’il put déposer le lendemain sur la table du conseil[2].

  1. Il avait fait ce récit à Picquart (Cass., I, 141) et à d’autres.
  2. L’incendie de la filature avait eu lieu le 24 août ; l’assurance avait été payée fin novembre et dans les premiers jours de