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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XI

Alors parut Bertillon, précédé de sa réputation volée d’homme de génie, — car la méthode anthropométrique est due à son père[1], — annoncé par l’État-Major comme l’inventeur d’une preuve scientifique, traînant avec lui une charge pleine de clichés, de photographies démesurément grandies et de dessins bizarres ; et il parla pendant trois heures, avec de grands gestes, savourant sa gloire.

À quel titre est-il cité ? Comme expert ? Il ne l’est pas et s’en flatte : « La graphologie, c’est de l’astrologie. » Il apporte une démonstration qui ne touche, de son propre aveu, « qu’accessoirement à l’écriture », mais d’autant plus irréfutable et péremptoire[2].

Il s’était gardé de rédiger, en un rapport écrit, le système qu’il avait édifié sur la lettre « du buvard »[3] ;

  1. Rennes, III, 178, Sebert.
  2. « Mon intervention dans l’affaire Dreyfus n’a porté qu’accessoirement sur l’expertise en écriture. Ma déposition forme dans son ensemble une démonstration qui engendre une certitude mathématique. » (Temps du 17 novembre 1897). — « Je n’ai pas expertisé précisément l’écriture de l’inculpé ; j’ai fait devant le tribunal une démonstration dans laquelle l’écriture de l’officier était pour quelque chose. » (Journal du 12 novembre 1897.)
  3. Il en convient lui-même : « Aucuns rapports verbaux ou écrits n’avaient pu être établis par moi sur le complément de mes recherches. » Il concède que « la circonstance était peu ordinaire », et accuse le manque de temps. (Cass., I, 498.) Mensonge manifeste, puisqu’il connut la « lettre du buvard » le 10 novembre et qu’il soumit sa théorie au Président de la République, le 14 décembre, à la demande de Mercier qui la connaissait depuis plusieurs jours.