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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


banales de bureau ou de café, d’appréciations personnelles, dura plusieurs heures. Rien de probant ou qui touchât au fond de l’affaire[1]. Rien qu’une psychologie à la fois grossière et compliquée, et la joie lâche d’avoir trouvé un bouc émissaire, dont le sacrifice mettrait fin à l’insupportable suspicion qui pesait sur tous, depuis la découverte du bordereau.

Mais d’autres officiers, ayant juré de parler sans haine et sans crainte, furent respectueux de leur serment. Mercier-Milon attesta que Dreyfus avait été un soldat fidèle et scrupuleux ; Colard, qu’il n’avait nulle indiscrétion à lui reprocher ; Brault, Sibille et Roy, que ses questions se rapportaient à des affaires de service ; Bretaud, adjoint de Bertin, que Dreyfus ne s’attachait pas seulement aux données de mobilisation, mais à tous les travaux qu’on lui confiait[2]. Tocanne, son camarade de l’École de guerre, déclara : « Je le crois incapable de félonie[3]. «

Dreyfus connaissait, par le dossier de l’instruction, les misérables dépositions qui avaient permis à D’Ormescheville de le décrire comme « ayant souvent attiré sur lui la juste suspicion de ses camarades ». Il en avait éprouvé une amertume qui se raviva à l’audience. C’est alors surtout que « sa figure se plissait ou qu’un soubresaut le soulevait ». Lépine, qui note ces révoltes physiques, observe toutefois que l’accusé n’eut pas « un mouvement d’indignation, pas un cri du cœur, pas une

  1. Cass., II, 9, Lépine.
  2. Bertin avait prétendu, dans une note du 17 octobre, à l’instruction D’Ormescheville, et, tout à l’heure, à la barre, que Dreyfus, pour cause, ne s’intéressait qu’à la mobilisation de l’Est. La question fut posée à Bretaud par l’un des juges, Gallet.
  3. Cass., III, 606, Demange.