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LE PROCÈS

Mais, à l’audience, Dreyfus était là, et la dictée était au dossier.

Alors Dreyfus déclara, comme il l’avait déjà fait devant D’Ormescheville, et, tout à l’heure, à l’interrogatoire de Maurel, qu’il n’avait point été ému en écrivant sous la dictée de Du Paty, et que la violente interpellation : « Qu’avez-vous donc ? Vous tremblez ? » avait été gratuite et n’était motivée par rien. Puis Demange, prenant la page même que Dreyfus avait écrite ce jour-là et la montrant à Du Paty, lui demanda où il avait pu voir le moindre caractère de trouble, attesta l’évidence qu’il n’y en avait aucun. Il suffisait aux juges de regarder pour le constater.

Du coup, l’arrogant marquis avait perdu pied ; et, déconcerté, pris de confusion, dans un trouble qu’il ne réussit pas à dissimuler[1], il s’embarrassa dans des explications : « Il savait avoir affaire à un simulateur. » Interpellé brusquement, Dreyfus aurait dû trembler. Or, il n’a pas tremblé, donc il simulait ; il avait été prévenu. Nature forte, aux courtes émotions, possédant sur lui-même une étonnante maîtrise. « Un individu innocent, qui serait amené là sans avoir rien à se reprocher, aurait tremblé à l’interpellation, ou aurait fait un mouvement[2]. »

Par qui Dreyfus avait-il été averti ?

Toute la légende s’effondrait : le témoin se prenait lui-même en flagrant délit de faux témoignage.

Cet aristocrate prétentieux, d’une agitation de pantin, quand il n’affectait pas la roideur mécanique des officiers prussiens, au monocle insolent, dramaturge décadent et marquis de Molière, d’une morgue de mauvais goût.

  1. Cass., I, 129 ; Rennes, I, 380, Picquart.
  2. Ibid.