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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ne puis pas admettre que vous continuiez ainsi ! » Et Brisset intervient, à son tour, avec non moins d’emportement, contestant jusqu’au droit de la défense à poser des conclusions[1].

Demange, désormais, ne peut plus achever une phrase. Maurel, Brisset, obéissant à la même consigne, hachent chacune de ses paroles d’interruptions comminatoires. « Comment, demande l’avocat, puis-je démontrer que la publicité du débat n’est pas dangereuse, si je ne parle pas des indications matérielles ? — Vous n’en avez pas le droit. — Mais l’intérêt de la défense… — Il y a d’autres intérêts que ceux de la défense et de l’accusation en jeu dans ce procès ! »

Quoi ! la sécurité nationale, l’ordre public seront compromis, si Demange établit que l’accusation repose sur une seule pièce !

L’âpre dialogue se poursuit encore pendant quelques instants. Quelque jésuite de basoche a pourvu Maurel d’une note, portant qu’aux termes d’un arrêt de la Cour de cassation, le huis clos, n’étant subordonné à aucun intérêt de la défense, peut être prononcé sans consulter l’accusé. « Oui ou non, dit Demange, accepte-t-on mes conclusions ? — Déposez-les sans les lire, lui crie Brisset. — Je demande qu’il me soit donné acte du refus qu’on me fait de les lire. — Vous ne faites que ça depuis une heure ! — Je n’ai examiné que la question de droit. — Cela suffit. — Je n’en ai lu qu’une partie. — C’est le principal. »

Lutter contre cette violence systématique, cette insolence de la force, était impossible. Demange, étranglé, déposa ses conclusions ; au moins lui sera-t-il permis

  1. Compte rendu des journaux du 20 décembre. (Temps, Autorité, Figaro, Libre Parole, etc.)