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LE PROCÈS


mange réclamait la publicité des débats, c’était pour empêcher la libre discussion de ces preuves. Des soldats ne se laisseraient pas prendre à cette ruse d’avocat, ne tomberaient pas dans ce piège.

Maurel n’inventait pas cette hypothèse ; il la tenait, comme une certitude, du porte-parole de Mercier.

Ainsi, non seulement Mercier avait laissé ignorer à Maurel la promesse formelle de Demange que, si les débats étaient publics, aucune discussion ne serait soulevée sur l’origine du bordereau, et que la défense se bornerait à la question de savoir si Dreyfus en était l’auteur. Il connaissait cette promesse par le Président de la République à qui Waldeck-Rousseau et moi nous l’avions portée. Mais, à cet engagement loyal, il avait substitué la préméditation d’abuser du souci patriotique des juges pour sauver un traître. Il falsifiait les paroles comme les écrits.

Maurel avait cru l’envoyé de Mercier, et les juges avaient cru Maurel. Depuis trois mois, ils le voyaient à l’œuvre, présidant, avec impartialité et indulgence, à leurs débats. Dès lors, leur parti fut pris avant d’entrer à l’audience : ils prononceraient le huis clos. Et Maurel, documenté et stylé par l’État-Major, avait préparé ses batteries.

Aussi Demange a-t-il à peine commencé sa lecture et prononcé ces mots : « En fait, attendu que l’unique pièce… » que Maurel l’interrompt, et, brusque, impérieux, l’invite à ne pas parler « d’un seul document relatif à l’affaire ».

Respectueusement, Demange proteste ; il ne divulguera rien, mais il lui paraît « nécessaire d’indiquer… » Nouvelle et plus vive interruption de Maurel : « Il n’est pas nécessaire d’indiquer une seule pièce. » Demange reprend : « Attendu que l’unique pièce… » Maurel : « Je