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LE HUIS CLOS


« Grand plébiscite ! Appel à l’armée et au peuple ! » Et l’étranger les a lus ! Quelle honte ! Ainsi, « il y a des millions de braves gens qui attendent fiévreusement la sentence, pour savoir si, oui ou non, le ministre de la Guerre a gagné sa partie, absolument comme les joueurs de Monaco ». Il supposait Mercier trompé par de faux documents : « Voilà le général devenu un misérable, un traître, un infâme digne du bagne. » Mais si Dreyfus est condamné, « alors il faut porter Mercier en triomphe ». Avec beaucoup de sens, il montre l’antisémitisme à l’origine de ce spectacle affligeant donné au monde : « Tout le bruit qui s’est fait autour de cet homme n’est venu que d’une chose, une seule : il était juif. »

La question principale, capitale, des débats publics, s’était perdue dans ce tumulte.

Hanotaux, depuis le 14, s’était mis au lit. Réellement malade, dit-il, mais nul ne le croyait. Des autres ministres aucun n’ose dire que cette procédure, secrète jusqu’au bout, est indigne de la République, qu’elle est celle, non d’un peuple civilisé, mais des pires tyrannies, celle des Turcs du moyen âge et des moines. Casimir-Perier, les voyant tous incliner vers le huis clos, n’insista pas. Le procès sera secret comme pour Calas.

Mercier avait gagné[1]. Boisdeffre fit venir le colonel Maurel, président du conseil de guerre ; il ne lui donna pas d’ordre, mais seulement l’avis de faire pro-

  1. Rennes, I, 66, Casimir-Perier : « J’ai répondu à M. Waldeck-Rousseau, comme à M. Joseph Reinach, que je ne pourrais que transmettre leur désir. » Mercier affirme (Rennes, I, 93) « qu’il ne connaît rien qui puisse lui faire croire » que le Président de la République ait transmis au Conseil des ministres l’expression de ce désir. Il ajoute que « le huis clos a été demandé par le Gouvernement au conseil de guerre et qu’il n’a jamais entendu dire qu’aucun membre du Conseil ait fait une tentative d’opposition ». C’est sa façon habituelle d’entortiller une parcelle de vérité dans le mensonge.