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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


brillé. Une défiance, presque générale, l’entourait, mêlée de déception. Casimir-Perier, qui avait fait sa fortune, se la reprochait comme une erreur. Dupuy regrettait d’avoir embarqué ce maladroit. Ses principaux collègues étudiaient avec inquiétude ce masque énigmatique. Il avait indisposé, l’une après l’autre, les diverses fractions de la Chambre, était devenu suspect à quiconque avait quelque connaissance des choses de l’armée. Maintenant, la presse démagogique ou révolutionnaire n’était plus seule à l’attaquer, mais toute la presse politique, sans distinction de partis[1], et, sauf les journaux officieux, la presse militaire. L’opinion, ahurie et lassée par son manque de méthode, sa légèreté insolente et ses allures de comédien en quête d’applaudissements, se demandait s’il n’était pas un danger public. Enfin, dans l’armée, depuis le simple soldat, ballotté entre des ordres contradictoires, jusqu’aux grands chefs, irrités de sa vanité et de ses dédains, qui sentaient les rouages de la grande machine se fausser entre ses mains imprudentes, un cri s’élevait contre lui, contre le ministre le plus fâcheux qui eût été appelé depuis de longues années au département de la guerre ; on l’y traitait de politicien sans conscience et d’organisateur du désordre.

D’autres ministres de la Guerre ont été précédemment attaqués, souvent avec violence, mais pour leurs tendances et leurs ambitions politiques ; il est le premier qui soit dénoncé pour son incapacité. Cette inca-

  1. Jules Roche, député, ayant vivement blâmé la circulaire du 1er  août dans un article du Matin, de nombreux officiers lui adressèrent leurs félicitations ; l’un d’eux, le commandant Walsin-Esterhazy, lui écrivit de Rouen, le même jour, 28 août, que « les effectifs de l’infanterie vont être réduits, par compagnie, à 10 et 12 hommes, sous-officiers compris, au 8 novembre », Cass., I, 698.)