Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
374
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


s’étaient ajoutées, et les signes qu’un complot de moines s’est greffé sur quelque erreur de chefs. La sauvagerie humaine, préhistorique, qui se réveillera par la suite, sommeillait encore. L’idée qu’un innocent pourrait être condamné faisait frémir. Par un retour naturel des choses, la défaveur de la race servait l’individu[1]. Tous les cœurs n’étaient pas endurcis de haine, tous les cerveaux intoxiqués de l’alcool qui tue la raison. Enfin, l’étonnement avait grandi jusqu’au scandale, quand, du soir au matin, Mercier était devenu le héros de ses plus acharnés détracteurs, et, s’appuyant sur eux, souriant aux polémiques contre ses collègues, songeait, visiblement, à recommencer l’aventure de Boulanger à son profit.

Quelques députés et de nombreux sénateurs se préoccupaient de ces symptômes. La presse, libérale ou républicaine, n’en ignorait pas. Mais personne n’osait braver le monstre factice de l’opinion — et Drumont. Les parlementaires attendaient la prochaine crise ; on débarquerait Mercier.

Un vieux journaliste, royaliste par sa foi et bonapartiste de tempérament, jadis grand prôneur de coups d’État, qui avait acclamé Pavia, l’auteur du pronunciamento où était morte la République espagnole, et évoqué un imitateur français pour jeter l’Assemblée nationale par les fenêtres, catholique pratiquant, ancien officier qui avait gardé de nombreuses amitiés mili-

  1. Cela n’échappa pas aux psychologues, même à Barrès, qui écrivit dans la Cocarde : « À premier examen, la qualité de juif de Dreyfus devait le desservir devant l’opinion. Par un retour singulier de la polémique, la défaveur de sa race le sert. Sentiment sincère ou affectation, quelques personnes semblent croire qu’on poursuit en lui le juif. Et déjà se compose une légende de martyre. » (8 décembre.) Barrès se prononçait contre le huis clos.