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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


près de Casimir-Perier de toute ma conviction. Il me fit la même réponse qu’à Waldeck-Rousseau, personnellement hostile au huis clos, mais jaloux de sa correction constitutionnelle.

Demange s’exagéra ou exagéra, quand il en entretint Dreyfus, les chances de l’intervention du Président. C’est un peu le rôle de l’avocat que de consoler l’accusé et de lui donner courage[1].

Je vis aussi Mercier. Nos relations, à travers des divergences politiques, avaient été cordiales. Sa figure se contracta, il refusa d’un ton sec et tranchant. Ce fut notre dernier entretien.

II

Pour une telle cause, à la fin de l’Ancien Régime, l’Encyclopédie eût été en armes avec les grands seigneurs philosophes, toute la bourgeoisie. Accusation suspecte que les accusateurs « mettent autant de soin de dérober à la connaissance des hommes, que les criminels en prennent de cacher leurs crimes[2] » !

Sous la Restauration, on eût vu s’unir les fils fidèles de la Révolution, nobles ou manants, du duc De Broglie à Carrel, de Royer-Collard à Benjamin Constant. Mal à l’aise sur la terre humide encore du déluge révolutionnaire, la Congrégation elle-même n’eût pas osé lever le masque, dire : « Je suis l’Inquisition. » Et quelle tempête sous l’Empire, libéraux et républicains rivalisant de noble passion, Berryer, Jules Favre, D’Haussonville, Quinet, Peyrat, et Hugo sur son rocher !

  1. Rennes, I, 165. Demange.
  2. Voltaire, xxxvi, p. 147, Déclaration de Pierre Calas.